RÉALISME SOCIALISTE
Applications et conséquences
L'application de la doctrine aux différents arts produisit des effets variés et inégaux, et ne fut jamais quelque chose de parfaitement cohérent. Dans la mesure où ses significations échappaient à toute prise légale ou verbale, la musique se trouva moins atteinte que les autres arts. On trouve ainsi, parmi les œuvres de valeur qui affichaient leur accord avec le réalisme socialiste, la Symphonie no 5 de Chostakovitch et la Symphonie no 6 de Prokofiev. La peinture et la sculpture se révélèrent particulièrement vulnérables du fait, notamment, qu'elles furent contraintes de revenir à un académisme artificiel et prérévolutionnaire qui était étranger à toutes les traditions russes dans le domaine des arts visuels et qui avait été importé arbitrairement par Pierre le Grand. Des illustrations caractéristiques du réalisme socialiste en peinture sont offertes par des œuvres comme Staline et Vorochilov au Kremlin de Gherassimov, Vorochilov faisant du ski, de Brodski, Matin, de Yablonskaya.
C'est la littérature qui exerçait l'influence la plus profonde et la plus large sur les masses. Certaines œuvres du début, tels Le Don Paisible de Cholokhov, ou La Défaite de Fadeïev, purent franchir les écueils du dogmatisme doctrinaire et se tailler une place importante en tant qu'œuvres littéraires. Mais avec le temps, la chose devint de plus en plus difficile : que l'on se reporte à des œuvres plus tardives de Cholokhov, comme Terres défrichées, ou de Fadeïev, comme la Jeune Garde. L'impact de la littérature sur le public russe rendit le parti extrêmement méfiant à l'égard des écrivains. Il ne suffisait pas de censurer ou d'interdire la publication. Il était toujours possible de glisser des significations cachées. Ainsi se forma progressivement un public capable de lire entre les lignes. Un langage « second » se constitua, qui servit à aller au-delà de la « réalité seconde » et permit de renouer avec la réalité vécue. On comprend que les écrivains furent, en tant que groupe constitué et proportionnellement à leur nombre, un des secteurs les plus persécutés de la population russe. Sur les sept cents écrivains qui participèrent au premier congrès des écrivains en 1934 – et dont plus de 70 p. 100 étaient âgés à l'époque de moins de quarante ans – seulement cinquante vivaient encore en 1954 pour participer au deuxième Congrès des écrivains. Beaucoup d'entre eux, certes, étaient morts à la guerre, mais les chiffres n'en restent pas moins éloquents.
Bien que la littérature officielle du parti eût fait un usage pléthorique des citations de Lénine, le fait d'associer son nom à la doctrine du réalisme socialiste est dû à une déformation de ses écrits : l'article fondamental de Lénine sur la question, L'Organisation du parti et la littérature du parti, a été écrit en 1905, à un moment où le parti émergeait de la clandestinité, et il traitait en fait des textes politiques et de propagande. Corrigeant les déformations que les idées de Lénine avaient subies, sa veuve, Nadejda Kroupskaïa, établit clairement en 1937 que l'article cité plus haut et d'autres textes similaires de Lénine n'avaient rien à voir avec la littérature en tant qu'art. Jusqu'à ces dernières années, cette mise au point est restée ignorée, comme l'ont été les éclaircissements apportés par Lénine lui-même, dans une conversation avec Clara Zetkin : « Tout artiste, et tout individu qui se considère comme tel, a le droit de créer librement en accord avec son idéal personnel, et sans tenir compte de rien d'autre. »
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Écrit par
- John BERGER : critique d'art
- Howard DANIEL : historien d'art
- Antoine GARRIGUES
: ancien critique à
Sud-Ouest et àContact Variété , professeur d'improvisation et d'histoire de la musique
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