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RÉALITÉ, sociologie

Nos affirmations sur ce qui est réel ne peuvent être comprises, selon John L. Austin dans Le Langage de la perception (2007), comme originaires mais plutôt comme dérivées : ce n’est que par contraste avec une croyance erronée (il est riche) que nous sommes portés à prendre position en énonçant ce qui existe vraiment (non, « en réalité », il est pauvre…). Nous nous appuyons sur une réalité correspondant à nos affirmations pour garantir la vérité de celles-ci, et ce garant s’impose à nous dans notre effort d’ajustement au réel. C’est pourquoi les deux termes, apparent et réel, font système dans les usages ordinaires du langage qui se distinguent sensiblement de prises de position théoriques sur une autre question dont parlent des philosophes (réalistes ou idéalistes), celle de la nature ultime de la réalité. Ainsi, celui qui affirme qu’il y a des liens de parenté entre deux individus ne fait que nier implicitement l’absence de tels liens et il ne dit rien sur la nature ou sur le degré de réalité de la notion de parenté.

À la conception plus ou moins naïve d’une réalité extérieure à nos pensées, on peut opposer l’idée que la réalité n’est jamais appréhendée qu’à l’intérieur du langage, sous une description. En effet, la même chose peut être décrite de différentes façons (X est fils de Y, est un médecin, un voisin…) qui, loin d’être exclusives, varient en fonction de diverses exigences comme le contexte et la pertinence des informations que l’on souhaite mobiliser. Cette variabilité implique-t-elle l’équivalence des descriptions ?

De la possibilité de descriptions multiples, on a pu être tenté de déduire que l’on n’a jamais affaire qu’à des formes différentes de « construction » de la réalité sociale. L’idée qu’il n’y a pas hors de notre discours quelque chose comme la République ou des classes sociales est séduisante. Tout cela a été construit dans l’histoire. Et, à en croire Bruno Latour, il en va de même pour une maladie comme la tuberculose, entité nosographique inconnue dans l’Antiquité et dont, pour cette raison, on ne peut dire que Ramsès II en serait mort.

Le « constructivisme », terme employé de façon souvent vague (historicité des sociétés, rôle des structures cognitives, performativité du langage, variabilité des classements…), a un pouvoir d’attraction qui tient d’abord à son aspect « démystificateur ». Mais il soulève plusieurs difficultés : d’abord, il est doté d’un tel degré de généralité qu’on ne perçoit pas bien la limite entre ce qui est construit et ce qui ne l’est pas ; ensuite, la construction méthodique de l’objet scientifique par le sociologue ne signifie pas que la réalité en question soit une simple construction ; et enfin, si tout est construction, on peut penser qu’il n’y a d’autre parti à prendre que celui du relativisme : la science, si le mot vaut encore quelque chose, est prise dans le lot commun.

Faudrait-il choisir entre une sorte de réalisme métaphysique de type scientiste posant la transcendance des choses sociales et un idéalisme constructiviste récusant toute extériorité ? On voit mal comment le concept de science pourrait en sociologie se voir dissocié de celui de réalité : c’est ce qu’indiquait Émile Durkheim dans Les Règles de la méthode sociologique (1895) quand il parlait de la transcendance des « faits sociaux ». Rien n’oblige toutefois à soutenir quelque position métaphysique sur l’essence de la réalité sociale : la science cherche seulement à dissiper toutes sortes d’apparences, à la façon de l’auteur cité qui a été conduit à élucider les relations entre le groupe, objet de science, et l’individu, entité qui ne trouve pas en elle-même son propre fondement. Pour autant, il n’a pas eu à doter le groupe d’une qualité mystérieuse (en raison d’un penchant pour le « holisme ») et il a beaucoup[...]

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Écrit par

  • : directeur de recherche émérite au C.N.R.S.

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