Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

RÉALITÉ

Réalité et croyance

On n'a pas, en cet exposé, à se prononcer sur l'essence dernière de l'Être, mais à analyser la notion de réalité, à découvrir ce que signifie le mot réalité pour une conscience humaine. Or, il paraît incontestable que les précédentes analyses n'épuisent pas cette notion. Ici apparaît déjà la force du réalisme. C'est en vain que certains philosophes nous veulent persuader que la vérité scientifique est affirmée selon de purs critères de cohérence, de type mathématique, et que cette cohérence suffit à la fonder. La vérité scientifique ne saurait être définie indépendamment de tout rapport à ce qui existe en dehors de l'esprit connaissant. Sans doute les savants estiment-ils qu'ils n'atteindront jamais cette réalité extérieure de façon totalement adéquate : mais ils s'y efforcent, et la connaissance d'une telle réalité demeure l'idéal vers lequel tend toute pensée s'efforçant d'être vraie. La constante et laborieuse réadaptation des théories à l'expérience en est le signe et la preuve. La réalité, conçue comme un en-soi, reste donc bien le point de référence par rapport auquel les différents systèmes scientifiques (ainsi celui de Newton, ou celui d'Einstein) paraissent de plus en plus vrais.

Descartes n'a pas cru davantage que l'inspection de l'esprit, si elle fonde toute perception, constitue la réalité même de l'objet perçu : bien plutôt, la pensée s'efforce de rejoindre une existence extérieure. Ainsi, la démarche qui consiste à réduire le réel au caractère relationnel et systématique de la raison ne saurait aboutir ; elle n'épuise pas le contenu de ce que nous avons dans l'esprit quand nous parlons de réalité.

C'est en ce sens que Hume remarque que la croyance ne se réduit en rien à une idée, ni à la synthèse de deux idées, à la combinaison de deux concepts. Le jugement d'existence ne dérive pas du jugement de relation, il ne relie pas, à un sujet d'abord pensé comme seulement possible, l'idée d'existence. Au reste, s'il en était ainsi, croire qu'une chose est réelle serait transformer son idée, et l'on ne pourrait dire que ce que l'on croit ensuite est ce que d'abord on avait pensé. En outre, s'il y avait une idée de la réalité, on pourrait la joindre à toutes les autres idées (comme on joint le buste d'un homme au corps d'un cheval pour composer l'image d'un centaure) et, par ce moyen, croire tout ce que l'on voudrait. L'expérience montre que c'est impossible : on ne croit pas par imagination, ni par combinaison d'idées.

Ainsi, l'idée d'un objet n'est pas la croyance en la réalité de cet objet, et, cependant, cette croyance n'apporte à l'idée comme telle aucun élément nouveau. Hume avoue du reste que l'opération de l'esprit qui forme la croyance lui paraît « un des plus grands mystères de la philosophie » (Traité de la nature humaine, I, 3e partie, section VII). La croyance consiste non dans l'idée, mais dans la manière dont nous la concevons. Elle n'ajoute pas à l'idée une autre idée, mais semble poser l'idée hors de nous. Elle traduit une sorte de présence. En tout cela, Hume ne prétend pas expliquer, mais constater : c'est pourquoi tous les mots par lesquels il essaie de définir la croyance énoncent, en fait, des caractères appartenant au donné. Hume parle d'intensité, de force, de vivacité, de consistance, de fermeté, de stabilité, de poids, d'influence, de netteté, de richesse. Ces caractères, qui distinguent la sensation de l'image, sont ceux mêmes qui entraînent la croyance. Celle-ci consiste en un sentiment indéfinissable, bien que connu de tous ; elle est ce par quoi une idée pèse davantage sur la pensée, elle dérive de la force de l'impression, du[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur honoraire à l'université de Paris-Sorbonne, membre de l'Institut (Académie des sciences morales et politiques)

Classification

Autres références

  • ADORNO THEODOR WIESENGRUND (1903-1969)

    • Écrit par
    • 7 899 mots
    • 1 média
    ...convient-il d'entendre par liquidation ? D'abord l'inadéquation entre les questions philosophiques et la possibilité de leurs réponses qui provient de la non-correspondance entre l'esprit et le réel. La fameuse formule hégélienne, « le réel est le rationnel » et inversement, n'est plus de saison. Car...
  • ATOMISME

    • Écrit par
    • 1 366 mots
    • 4 médias
    Avec l'émergence du mécanisme dans le premier tiers du xviie siècle, la conception corpusculaire de laréalité, héritée de l'atomisme antique, va trouver une nouvelle actualité scientifique. Sous-jacente aux apparences sensibles, la réalité physique se présente comme une série variable de combinaisons...
  • BERGSON HENRI (1859-1941)

    • Écrit par
    • 8 130 mots
    • 1 média
    ...Tout d'abord, elle privilégie dans le réel ce qu'il peut comporter de régularité et de stabilité et, au besoin, y introduit par artifice l'une et l'autre. Ensuite, elle procède par analyse, en résolvant la réalité qu'elle étudie en éléments distincts et fixes dont chacun est déterminé par référence à une...
  • BRADLEY FRANCIS HERBERT (1846-1924)

    • Écrit par
    • 3 616 mots
    Les mêmes idées qui ont été exposées dans Appearance and Reality se retrouvent dans le second grand livre de Bradley, qui est un recueil d'essais sur la vérité et la réalité. Nous assistons à une sorte de va-et-vient entre un absolu relativisme et un absolutisme non moins absolu. Le plaisir,...
  • Afficher les 43 références