RECENSEMENTS DE POPULATION (HISTOIRE DES)
On désigne généralement comme recensement une grande enquête officielle visant à compter (dénombrer) une population et, depuis le xixe siècle tout au moins, à en dresser le portrait statistique détaillé. Étudier l’histoire des recensements, c’est comprendre à la fois comment cette technique s’est imposée comme moyen de dénombrement – et à quelles fins –, comment elle est devenue la pierre angulaire de la statistique publique au niveau national puis international, et dans quelle mesure elle contribue à la représentation que les sociétés se font d’elles-mêmes.
Les travaux historiques attentifs aux conditions de production des recensements tels qu’ils se sont accomplis et aux relations sociales et politiques à l’œuvre dans ces entreprises censitaires invitent à se défier des généralisations. L’image de gouvernements éclairés ne poursuivant d’autre fin que l’intérêt général et celle – symétrique – d’un « gouvernement par les nombres » qui se substituerait progressivement au droit et au principe démocratique, voire menacerait les libertés publiques, s’avèrent toutes deux réductrices, sinon trompeuses.
Comme l’illustre bien le cas de la France, placé ici en perspective comparée, les recensements apparaissent comme un lieu de rencontre – et parfois de collision – des droits et des devoirs, de la concorde et du conflit, de l’esprit de connaissance et de l’exercice des pouvoirs, de la scientificité et de l’idéologie, de la visibilisation et de l’invisibilisation des groupes, de l’unification et de la division des sociétés.
Compter qui… et pour quoi faire ?
Mettre en chiffres une collectivité humaine, c’est d’abord la dénombrer,c’est-à-dire déterminer – à des échelles ou échelons divers – le « nombre des hommes ». Pour sommaire qu’elle puisse paraître de prime abord, cette opération soulève d’immenses difficultés dès lors que la dimension, la mobilité ou la dispersion du groupe considéré s’opposent à la possibilité de réunir physiquement l’ensemble de ses membres sous les yeux d’un agent dénombreur unique. Au cours de l’histoire, le « recensement », entendu ici comme grande enquête réalisée à un instant précis – et éventuellement reproduite, à intervalles réguliers –, est loin d’avoir constitué la seule voie possible. Dans les sociétés pratiquant l’écriture, différents matériaux et techniques ont pu servir au décompte de la population. Pour le comprendre, on doit se départir d’un biais ethnocentrique et anachronique : celui qui fait prendre pour une réalité universelle l’opposition entre les dispositifs d’« enregistrement » des faits d’état civil (naissances, décès et mariages), qui saisissent en continu des événements démographiques individuels, et les dispositifs de « recensement » qui décrivent l’état de la population à un moment donné. La fonction de dénombrement a en effet souvent été assurée grâce à des documents officiels que notre terminologie associe à des registres (de nature diverse), comme les listes paroissiales (Husförhörslängdern) qui détaillent la composition des foyers suédois à la fin du xviie siècle, ou encore les « registres centralisés de population » comme il en existe dans un certain nombre de pays d’Europe septentrionale et médiane.
Depuis la civilisation mésopotamienne, à l’origine des plus anciens dénombrements connus, jusqu’à la fin de l’Ancien Régime européen, le comptage humain consiste pour l’essentiel en un relevé partiel, et rarement réitéré, des individus ou foyers et des biens. Ces inventaires prennent des formes et des appellations éminemment variables : censusdans l’Empire romain (terme que l’on traduit par « censure » et qui donnera census en anglais et « recensement » en français) ; catasto dans la Toscane du xve siècle ; «[...]
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Écrit par
- Fabrice CAHEN : agrégé d’histoire, docteur en histoire, chargé de recherches à l’Institut national d’études démographiques (UR11, UR04)
Classification
Médias