RÉCIT DE VOYAGE
Le caractère essentiel du récit de voyage devrait être sa diversité. N'est-ce pas pour être désorienté qu'on va à l'étranger, ou qu'on lit ? Il est cependant possible de trouver des points communs à la multitude de récits qui racontent des pèlerinages ou constituent des enquêtes : quelqu'un s'adresse à un lecteur dont il se fait une idée particulière pour le mettre au courant de sa quête. Mais ce que recherche le voyageur est toujours au-delà de ce qu'il avoue : le désir réel du voyageur est de trouver un jardin où « il soit loisible de vivre avec une âme et un corps », un paradis. Dès lors que la terre est parcourue, et qu'il faut renoncer à l'idée même de découverte, que devient le « récit de voyage » qui devait à la fois étonner, ravir et combler ? Il ne proposera plus au lecteur le rêve d'un « ailleurs », mais constituera lui-même un paysage étrange : ce n'est plus en tant que reportage que vaudra le récit de voyage, mais en tant que construction.
Quelques constantes du récit de voyage
On peut dater, environ, du milieu du xviie siècle la vogue du récit de voyage. Certes, les antécédents fameux ne manquent pas : Homère, Hérodote et Pausanias. Au Moyen Âge, alors que les récits de pèlerinage sont aussi nombreux qu'au xvie siècle les témoignages sur l'Amérique, sont publiées deux œuvres clés : Le Devisement du monde, dans lequel Marco Polo retrace le périple qui le conduisit de Venise jusqu'en Chine, et la Riḥla d'Ibn Baṭṭūṭa, suite de récits de voyage qui couvrent et même dépassent l'ensemble du monde musulman au xive siècle. Dès 1650, du moins, le récit de voyage devient un genre à succès. Mais les diversités sont grandes entre les modes, turque à la fin du xviie siècle, chinoise au début du xviiie, américaine vers 1750 ; ou entre les récits de croisades et les voyages en Orient du xixe siècle ; ou, pour une même période, entre les voyages en Égypte de Vivant Denon, du comte de Forbin, du comte de Marcellus, du baron Taylor, d' Alexandre Dumas, qui écrivit ses Quinze Jours au Sinaï sans quitter Paris. Diversités aussi importantes entre les voyageurs qui se croisent ou qui migrent, et ceux qui, plus tard, s'aventurent solitairement ; entre les protestants et les catholiques, entre les commerçants et les savants. Pour Jean-Jacques Rousseau, à l'époque de son Discours sur l'inégalité, seuls ont voyagé « les marins, les marchands, les soldats et les missionnaires », et il souhaite que les philosophes prennent goût aux voyages pour associer à la lecture des livres celle du monde. « Autre temps, autres phrases, chaque siècle a son encre », écrit Flaubert en route vers l'Orient. Diversités enfin dans le style des écrits, car le journal de voyage peut emprunter à tous les genres : l'itinéraire philosophique et thermaliste (Montaigne), les Mémoires (Casanova), l'histoire (Chateaubriand), le monologue intérieur (George Sand), la description pittoresque coupée d'interviews politiques (Tocqueville), les notes pour un ministre (Gobineau), l'ethnographie accessible aux profanes, aux angles de vue neufs (Lévi-Strauss). À la liste proposée par Paul Morand dans Le Voyage, notes et maximes, une autre pourrait être substituée ; mais n'existe-t-il pas, dans la disparate de ces récits, des permanences ?
Le narrateur et son destinataire
Les récits de voyage entrent dans la catégorie de l' autobiographie. L'auteur, le narrateur et le voyageur sont la même personne ; leur aventure ne commence pas par une naissance mais par un départ, et ne se dénoue pas arbitrairement mais doit s'achever par un retour. Les récits de voyage peuvent prendre la forme de journaux ( Leiris), de lettres (Hugo), ou de mémoires comme ceux de Jean de Léry, ou encore ceux d'un « touriste[...]
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Écrit par
- Jean ROUDAUT : écrivain, professeur honoraire à la faculté des lettres de Fribourg (Suisse)
Classification
Médias
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