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RÉCIT DE VOYAGE

La quête du paradis

Le récit de voyage se double d'un récit de quête : celle d'un centre du monde qui mettrait justement fin au voyage, non pas dans la désolation de l'équivalence générale de tout, mais dans la plénitude que conférerait le sentiment d'être parvenu à l'omphalos. Qu'est-ce donc que ce verger oriental qui ne cesse de se reformer dans la mythologie occidentale à mesure que les limites du monde géographique se modifient ?

La ville

La première et fondamentale image du paradis, ce fut, certes, la Jérusalem céleste, dont les enluminures devaient nous entretenir. Mais la Jérusalem terrestre, qui est à son image, est fort décevante quand, au terme de longs voyages, les croisés y abordent. Il faut cependant que le paradis ait été terrestre. Et le bruit vient jusqu'à l'Occident d'un empire des essences où rien du réel périssable n'intervient pour troubler le code des signes et des cérémonies. Ce paradis, que les héros du Pèlerinage de Charlemagne n'avaient pas trouvé à Jérusalem, voici que Byzance le leur présentait. L'auteur du poème entretenait chez ses auditeurs l'idée qu'il y avait un lieu où les êtres étaient leurs paroles, où la vie se confondait avec son chant. Byzance était une ville à la fois imaginaire et vraie, dont le songe allait se poursuivre jusque dans la littérature décadente. Elle avait l'attrait de la forme pure et la solidité de la présence. Elle possédait un grand avantage sur le royaume du prêtre Jean : elle existait non pas en Inde, en Chine ou en Éthiopie, mais aux portes de l'Occident. Aussi est-ce dans une sorte de délire que les croisés de la IVe croisade s'emparèrent d'une ville qui « sur toute autre était souveraine ». Mais il n'est pas possible de renoncer au rêve. Reste à reculer le lieu de paradis. Ce seront les sources du Nil, la capitale de la reine de Saba, à l'intérieur mystérieux de l'Afrique, Tombouctou, interdite aux Européens. En 1798, Vivant Denon parle avec un prince nubien de « cette fameuse ville dont l'existence est encore un problème en Europe », et apprend de lui que « ce pays s'appelait dans leur langue : le paradis ».

Les antipodes

Le mythe de l' origine égyptienne de l'humanité sera essentiel dans les rêveries linguistiques du xviiie siècle : l'espoir des grammairiens est de retrouver une langue originelle, celle qu'Adam parla, antérieure au déluge et à la confusion de Babel. La passion linguistique se transforme en remontée du temps vers un illo tempore où les langues n'étaient pas plusieurs mais une seule. Ce rêve d'une alchimie du langage se déroule au moment où les voyageurs poursuivent à travers le monde une image plus réelle du paradis. Deux lieux géographiques particuliers vont jouer dans cette recherche un rôle primordial : les pôles d'abord, parce qu'ils sont protégés par les glaces et immobiles dans l'espace. Les voyageurs du xvie siècle confirmeront les descriptions de géants qu'on peut lire dans l'Histoire du Pérou de Garcilaso de la Vega. L'édition de 1770 de l'Histoire d'un voyage aux isles malouines par Dom Pernety, le traducteur de la mythologie égyptienne en langage alchimique, est précédée d'une dissertation sur les géants Patagons, survivants d'une race humaine supérieure. L'autre lieu privilégié du globe, c'est l'antipode : région inversée et complémentaire, jouant dans la rêverie du xviiie siècle le rôle du monde non aristotélicien dans le nôtre. Ce que cherchent les voyageurs, c'est l'île au loin, la Désirade, où retrouver, au milieu des mers, le paradis-jardin, d'où ils reviendront accordés, oublieux du temps et négligents de la mort.

Oh ! Tahiti

Si, pour le capitaine Wallis qui la découvre le 9 juin 1767,[...]

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Écrit par

  • : écrivain, professeur honoraire à la faculté des lettres de Fribourg (Suisse)

Classification

Médias

Michel Leiris - crédits : M. Kalter/ AKG-images

Michel Leiris

Horace de Saussure - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Horace de Saussure

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