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RÉCOLTES ET SEMAILLES (A. Grothendieck) Fiche de lecture

Quelque huit ans après le décès du mathématicien, la parution dans la collection « Tel » des deux tomes de Récoltes et semailles (Gallimard, 2022) d’Alexandre Grothendieck (1928-2014) est un événement unique pour le monde des mathématiciens et pour tous ceux qui s’intéressent aux aspects psychologiques et sociologiques de la création scientifique. Écrit entre 1983 et 1986, ce texte avait d’abord été envoyé à quelques mathématiciens, avant d’être mis à la disposition d’un plus large public via Internet. Enfin publié grâce au soutien de plusieurs mécènes et de l’Institut des hautes études scientifiques (l’IHES) de Bures-sur-Yvette (Essonne), dont Grothendieck fut un des membres les plus illustres, ce livre d’un millier de pages témoigne de la difficulté mais aussi du bonheur de vivre d’un génie mathématique peu enclin aux concessions de la vie sociale.

Les mathématiques comme un absolu

Né à Berlin d’un père russe assassiné par les nazis et d’une mère allemande, réfugié en France et interné avec sa mère au camp de Rieucros, près de Mende, à partir de 1940, puis lycéen au collège Cévenol, hébergé dans une maison du Secours suisse qui protégeait les enfants juifs des rafles de la Gestapo, Grothendieck choisira de rester apatride jusqu’en 1971, date à laquelle il sera naturalisé français. Étudiant à l’université de Montpellier de 1945 à 1948, il ne se satisfait pas des cours qu’il fréquente peu et vit dans une solitude intellectuelle totale, absorbé par des interrogations fondamentales sur la signification profonde de notions telles que la mesure d’un volume. Lorsqu’il « monte à Paris » en 1948, et qu’il se familiarise avec « ce qui était considéré comme le b.a.-ba du mathématicien », il apprend que ses résultats rejoignent ceux que Henri Lebesgue (1875-1941) a développés quelques décennies plus tôt.

De 1950 à 1969, Grothendieck multiplie les publications mathématiques, sous forme d’articles, de monographies ou de séminaires, soit près de 12 000 pages dans lesquelles il introduit des centaines de notions nouvelles, souvent seul, parfois avec des collègues (appartenant souvent au groupe Bourbaki) comme Jean Dieudonné (1906-1992) ou des élèves. Nommé professeur à l’IHES en 1960, il reçoit la médaille Fields en 1966 mais refuse d’aller la chercher à Moscou où se tenait le Congrès international des mathématiciens, pour protester contre divers aspects de la politique du gouvernement soviétique.

À partir de 1970, son intérêt pour les mathématiques devient – selon ses propres termes – sporadique et marginal. Après avoir démissionné de l’IHES pour protester contre un financement (très partiel) de l’Institut par le ministère de la Défense, il pose crûment la question à ses collègues : « Allons-nous continuer la recherche scientifique ? » alors que le problème est de « survivre » dans un monde menacé par la guerre nucléaire et la destruction de la nature. Membre fondateur du groupe écologique et pacifiste Survivre et vivre, Grothendieck multiplie alors les déclarations radicales. Il enseigne un temps à l’université de Montpellier et s’aperçoit qu’une nouvelle passion « aussi forte qu’avait été [sa] passion mathématique » l’habite : celle de la méditation. Il obtient un poste de chercheur au CNRS jusqu’à sa retraite en 1988, mais son radicalisme le coupe de la communauté scientifique à laquelle il adresse de plus en plus de reproches. Il ira jusqu’à changer de mode de vie, se retirant en Ariège dans une solitude farouchement défendue, de 1990 à son décès en 2014.

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Écrit par

  • : directeur de recherche émérite au CNRS, centre de physique théorique de l'École polytechnique, Palaiseau

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