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RÉCOLTES ET SEMAILLES (A. Grothendieck) Fiche de lecture

Une méditation et un réquisitoire

C’est lors de ses années de chercheur au CNRS que Grothendieck écrit Récoltes et semailles. Il s’agissait d’abord d’une introduction au premier volume – intitulé À la poursuite des champs – d’un projet de traité de « réflexions mathématiques ». Ce volume était écrit lorsqu’il entreprit de rédiger son introduction, qui finit par devenir une lettre de plus de 1 000 pages adressée d’abord à ses collègues. Comme Grothendieck le précise, il y a beaucoup de choses dans cet essai qui ressemble à la fois à « une méditation sur l’existence d’un mathématicien, à un tableau de mœurs d’un milieu et d’une époque », mais aussi à « un réquisitoire voire un règlement de comptes dans le beau monde mathématique ». Les plaintes de l’auteur contre ce qu’il considère comme une trahison de ses collègues occupent en effet une large part de son manuscrit ; les trois dernières parties, « L’enterrement », dédiées « à ceux qui furent mes amis, tant aux rares qui le sont restés qu’à ceux venus nombreux à faire chorus à mes Obsèques », sont un enchevêtrement de remarques sur les pratiques du « beau monde » des mathématiciens des années 1980, et en particulier l’habitude – « l’escroquerie » – d’attribuer un résultat important à un professeur « tenant le haut du pavé » plutôt qu’à un jeune chercheur ou à un absent ayant trahi les siens. Grothendieck est certes personnellement concerné par cet « enterrement » des absents. Il note que l’establishment approuve le fait d’« effacer le nom de celui qui s’est coupé de tous, et résoudre ainsi l’intolérable paradoxe, en remplaçant par une paternité factice tolérable une paternité réelle mais inacceptable ». Il apporte un soin particulier à étayer sa dénonciation, par exemple dans sa démonstration de la mystification collective amenant à la négation du rôle de Zoghman Mebkhout (né en 1949) dans l’établissement de ce qu’il appelle plaisamment le « théorème du bon Dieu ». Car, au lieu de l’appeler comme il est d’usage avec le nom de celui qui l’a démontré, les mathématiciens ont choisi de laisser planer le doute, laissant penser que le théorème en question n’était que l’énoncé d’une évidence. Ces critiques ne sont pas réservées à la communauté française et prennent parfois une dimension internationale. Quelques décennies plus tard, il ne semble pas que la situation se soit améliorée, l’illusion d’une communauté scientifique apaisée des passions humaines de puissance ayant peut-être été réservée à Bourbaki…

Les archives laissées par Grothendieck sont considérables – quelque 70 000 pages manuscrites... Une partie est conservée au sein du département de mathématiques de l’université de Montpellier, qui en a rendu 18 000 pages disponibles en ligne.

— Bernard PIRE

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Écrit par

  • : directeur de recherche émérite au CNRS, centre de physique théorique de l'École polytechnique, Palaiseau

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