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RECUEIL CROZAT, Pierre Jean Mariette Fiche de lecture

En 1729, le premier volume d'un livre d'un genre absolument nouveau paraît à Paris : il est aujourd'hui connu comme le Recueil Crozat. En 1721, le Régent, Philippe II d'Orléans, avait proposé à son ami, le collectionneur et mécène Pierre Crozat, l'idée d'un recueil d'estampes d'après les plus beaux tableaux italiens figurant dans les collections françaises. Le comité éditorial était composé par Pierre Crozat, passionné d'art italien, et par deux jeunes connaisseurs destinés à devenir les maîtres du goût français : le comte de Caylus, antiquaire et graveur, et Pierre Jean Mariette (1694-1774), marchand d'estampes installé rue Saint-Jacques à Paris. Crozat s'occupa de la coordination de l'entreprise et surtout de l'exécution complexe des estampes de reproduction, confiée à trente-six graveurs différents. Caylus participa en qualité de graveur des plus beaux dessins de la Renaissance italienne, Pierre Jean Mariette écrivit tous les textes : l'introduction de l'ouvrage, les vies des peintres et les analyses stylistiques des tableaux reproduits. Francis Haskell a souligné dans La Difficile Naissance du livre d'art (1992) l'importance du Recueil Crozat, sans doute le premier livre d'art, véritable ancêtre des catalogues illustrés actuels.

Mariette consacra le reste de son existence à l'histoire de l'art. Le marchand d'estampes s'était transformé en écrivain d'art. Les centaines de pages de l'Abecedario, édition partielle et posthume (1851-1860) des écrits de Mariette, sont le résultat de cette métamorphose.

Le rapport texte-image

Le Recueil comprend deux tomes, le premier « contenant l'école romaine » parut en 1729, et le second, « contenant la suite de l'école romaine et l'école vénitienne », en 1742. Les deux tomes n'étaient qu'une partie d'un projet beaucoup plus vaste, jamais réalisé, consacré aux écoles italiennes de peinture, qui devait comprendre aussi l'école bolonaise, l'école florentine, l'école lombarde, l'école génoise, l'école siennoise et l'école napolitaine. Une longue Préface de Mariette nous explique les objectifs du livre. Le premier, vivement revendiqué par l'auteur, est le désir de conserver par l'illustration des objets merveilleux et fragiles. « Ainsi dans le dessein de faire connoistre à tout le monde, & de conserver pour la posterité les chefs-d'oeuvre de la Peinture qui subsistent encore aujourd'huy, on a crû qu'il falloit necessairement avoir recours à la Graveure, & faire une espece de corps d'Ouvrage des Estampes gravées d'après les Tableaux des bons Peintres. » La connaissance de l'art italien hors de l'Italie reposait surtout sur les estampes dites de traduction. Les gravures ne sont pas toujours fidèles aux originaux – dit Mariette – ce sont plutôt des « équivalents » : elles doivent donc être interprétées. Le manque de « flegme » des graveurs italiens et « un certain goût du terroir » des graveurs flamands sont les raisons qui portent Mariette à considérer les graveurs français comme les plus parfaits traducteurs de l'art italien. Pour la première fois dans un texte d'histoire de l'art, une relation très étroite est établie entre les textes, les dessins, les tableaux originaux et les reproductions. Seule l'utilisation correcte et consciente des instruments du connaisseur – histoire, tableaux, dessins, gravures – permet une lecture du style, c'est-à-dire de la pensée de l'artiste. La nouveauté de la méthode proposée par le Recueil réside dans la possibilité de vérifier les affirmations écrites directement sur les images. Le lecteur du Recueil est aussi le spectateur d'un genre particulier de musée, le musée de papier,[...]

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Écrit par

  • : historienne de l'art, chercheur au Getty Institute de Los Angeles

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