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RÉFLEXIONS SUR L'IMITATION DES ŒUVRES GRECQUES EN PEINTURE ET EN SCULPTURE, Johann Joachim Winckelmann Fiche de lecture

Paradoxes et fragilité du dogme de l'imitation

Il convient cependant de prendre avec prudence cette lecture résolument tournée vers l'effet de nouveauté de l'œuvre. Si les Réflexions ont de fait profondément marqué le débat esthétique allemand, elles ne s'inscrivent pas moins dans une discussion fort ancienne, dont l'un des grands moments – d'ailleurs étudié par Winckelmann lui-même en amont de cette publication – fut en France la querelle des Anciens et des Modernes. Surtout, il serait erroné de voir dans ce texte l'énoncé d'une doctrine cohérente et lisse. La composition même de l'ouvrage l'interdit. Les Réflexions se présentent non comme un traité systématique, mais comme une série de remarques composites, articulées en une multitude de paragraphes brefs. Derrière le ton en apparence assertif, ce tissu fragmenté laisse apparaître un nombre important d'interrogations et de points obscurs. Quelle est tout d'abord l'origine de cette beauté grecque à imiter ? D'un côté, Winckelmann affirme que les Grecs eux-mêmes l'ont empruntée à la nature : c'est de l'observation rigoureuse des corps les entourant que les plus grands sculpteurs grecs auraient tiré leurs admirables œuvres. D'un autre côté cependant, il soutient que l'inégalable beauté de la statuaire grecque est d'essence fondamentalement spirituelle, idéale, c'est-à-dire qu'elle a surgi non de l'examen empirique de la nature, mais de l'« idée » de l'artiste.

L'essai ne livre pas de doctrine plus claire quant à la situation historique du modèle grec. D'un côté, Winckelmann énonce le principe d'une normativité grecque absolue qui extrait en quelque sorte la Grèce de l'Histoire. En enjoignant à ses contemporains d'imiter la Grèce, il pose en effet le modèle grec comme exemplaire, c'est-à-dire comme éternellement reproductible, indépendamment des circonstances particulières qui ont entouré sa naissance (démocratie athénienne, coutumes spécifiques, etc.). L'art grec est un paradigme toujours actualisable, comme le prouve Raphaël, qui, à la Renaissance encore, a su s'approprier leur « noble simplicité et leur grandeur sereine ». Normatif, le modèle grec est donc anhistorique. D'un autre côté néanmoins, et dans le même ouvrage, Winckelmann énumère les conditions historiques absolument uniques qui ont contribué à cette apothéose singulière vers le ive siècle avant J.-C. L'art grec de la haute époque doit sa floraison à un concours exceptionnel de circonstances : clémence du climat, équilibre des mœurs, exercices physiques, alimentation, costume et organisation politique de la cité, autant de causes singulières qui rendent cet apogée non reproductible. L'art grec est le produit d'une civilisation et d'un peuple particuliers. En résumé, la Grèce est unique, sa beauté est le résultat de circonstances naturelles et politiques singulières, elle est inimitable – et pourtant il faut l'imiter.

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