REFUS ET VIOLENCES (J. Verdès-Leroux) Fiche de lecture
Il faut d'abord saluer le travail énorme, méthodique et maîtrisé de Jeannine Verdès-Leroux, qui entreprend, avec Refus et violences (Gallimard), de brosser le tableau d'une génération d'écrivains d'extrême droite. Personne, avant elle, n'avait inventorié cette masse de revues et de journaux, proliférant dans une période où un seul média, la presse, régnait sans partage. On évoque souvent, avec des connotations défavorables, L'Action française, Je suis partout, Candide, Gringoire. Mais qui, à part les contemporains endoctrinés, les avait lus et analysés ? Il a fallu à l'auteur une grande force d'âme pour s'astreindre à des lectures aussi accablantes pour l'image que l'on peut se faire des intellectuels de ce bord. La position de l'historien qui aborde cette nébuleuse est délicate : ou bien il condamne, réprouve, exorcise, et il risque alors de ne pas entrer dans les raisons d'un mouvement qui mobilisa rédacteurs et lecteurs en nombre ; ou bien il démonte les ressorts de la machine, pour en dessiner le modèle intelligible, comme l'a fait excellemment Paul-André Taguieff pour le racisme, et il se trouvera toujours des esprits obtus pour accuser le savant d'une connivence complice avec l'objet de son étude.
Jeannine Verdès-Leroux, tout en tenant les deux bouts de la chaîne, marque nettement son refus propre de ces refus et violences là où d'autres ont pu céder à une certaine séduction. On a souvent dit, en effet, que l'intelligence éclairait les pages de L'Action française, que le talent était à droite,que l'épuration avait condamné les poètes et les prophètes, et promu des médiocres. Ce mythe est enfin démoli ici, documents à l'appui. La « légende des vaincus », qui fut, en 1944, une première version de ce qu'on dénomme aujourd'hui « négationnisme », ne résiste pas à l'analyse impeccable de l'historienne. Qu'elle soit louée pour cette œuvre de dévoilement et de clarification.
Restent les cas particuliers, et bien des points de désaccord. Car nous ne lisons pas toujours comme l'auteur les textes cités ou invoqués ; nous ne partageons pas l'idée qu'elle suggère de la littérature de ce temps-là, sans trop analyser les liens complexes qui font coexister, sous un même nom d'auteur, un romancier, un essayiste, un revuiste, un journaliste aisément polémiste, un tribun militant, un spadassin de la plume, et parfois un délateur. Ainsi, pour prendre deux cibles favorites de l'historienne, Drieu la Rochelle et Ramon Fernandez peuvent publier, aux éditions Gallimard le plus souvent, des livres de grande qualité, dans La Nouvelle Revue française des études dignes et élevées, et dans Je suis partout, ou dans telle feuille doriotiste, des articles parfaitement ignobles. L'écrivain de ce temps est un polygraphe « multi-média », et il se soumet, sans souci excessif de cohérence, au média qui le sollicite. Ce n'est pas le caractère de ces deux « collaborateurs » qu'il faut ici incriminer, mais le mythe illusoire d'un auteur unifié et autonome.
Le choix de l'antisémitisme, du fascisme, et plus tard de la collaboration avec le nazisme, concerne-t-il une majorité d'écrivains et/ou d'intellectuels français ou une marge peu représentative de cette intelligentsia ? La thèse de Jeannine Verdès-Leroux est ferme : il ne s'est agi que de marginaux, de faibles, ou même de ratés à la recherche de compensations immédiates. Le lecteur français s'en trouvera un peu soulagé, puisque la France, sa littérature et ses élites se voient ainsi déchargées de toute responsabilité historique dans la catastrophe du siècle. Mais il se demandera peut-être si l'historienne ne prend pas trop vite les écrivains antisémites pour des ratés de la littérature, et si elle n'innocente pas volontiers[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jacques LECARME : professeur de littérature française à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle