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RÈGLE, sociologie

Une règle est un principe qui gouverne l’action. Qu’elle soit gravée ou non dans le marbre de la loi, elle oriente les conduites par le commandement qu’elle édicte et par les sanctions qu’un manquement à son égard peut entraîner. Une telle définition fait directement écho à celle du fait social qu’Émile Durkheim considère comme manière de faire, de penser et de sentir, fixée ou non, susceptible d’exercer sur l’individu une contrainte extérieure. Conduire un véhicule, procéder à un licenciement, se donner volontairement la mort, acheter un vêtement, choisir un conjoint ou le prénom de son enfant…, voilà autant de pratiques réglées dont la sociologie montre qu’elles ne sont jamais l’expression d’une pure subjectivité étrangère au monde qui l’entoure.

En définissant la sociologie à partir du fait social, Durkheim ne fait pas que signaler l’existence de règles dont les termes sont fixés hors du champ des consciences individuelles. Il sait également que les règles ne sont ni immuables ni intangibles et qu’elles peuvent varier dans le temps comme dans l’espace. Ainsi qu’il le montre par exemple dans De la division du travail social (1893), la rupture avec le principe de solidarité mécanique conduit les sociétés industrielles à forger de nouvelles règles de coopération entre les hommes, plus adaptées aux exigences des temps nouveaux. Pour que la solidarité organique fonctionne, il ne s’agit plus de se comporter selon un modèle unique, prédéfini par une conscience collective, mais d’insérer son action dans un maillage social au sein duquel la division du travail permet de fortifier les liens entre les uns et les autres. Durkheim a conscience par ailleurs qu’une infraction à la règle n’entraîne pas mécaniquement une sanction. Qu’elle prenne la forme de menus écarts ou de transgressions plus radicales, la déviance est donc un phénomène qu’on peut considérer comme normal.

Après que Durkheim a ainsi posé les bases d’une théorie des règles sociales, les sociologues se sont efforcés d’éviter les pièges de la polysémie en distinguant plusieurs registres d’analyse. Le premier, largement teinté de juridisme, confond la règle avec une norme formelle, explicite et susceptible par voie de conséquence de justifier toutes les foudres juridiques que ne manqueraient pas de déclencher le moindre accroc à l’ordre social. Le deuxième associe la règle à une régularité que l’observation ou l’usage de la statistique aident à objectiver. Par exemple, les règles qui commandent l’échange symbolique entre les personnes et les groupes (manière de se saluer, de rendre une invitation à dîner…) obligent à un minimum de réciprocité. Mais nul n’a jamais été emprisonné parce qu’il n’a pas rendu la pareille. Tout au plus passe-t-il pour un goujat. La règle peut être utilisée, en troisième lieu, au titre d’instrument dans un modèle d’analyse théorique. En anthropologie, les structuralistes ont construit des représentations raisonnées des formes d’appariements entre conjoints où le mariage avec la cousine croisée unilatérale constitue la règle. Mais il est toujours, bien sûr, un écart entre les pratiques et les constructions théoriques destinées à en rendre compte.

Wittgenstein - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Wittgenstein

Dans l’esprit de la seconde philosophie de Ludwig Wittgenstein, une dernière façon d’aborder la règle consiste à partir de la manière de lui obéir. Une règle n’est jamais univoque. Elle ressemble, suggère Wittgenstein, à un panneau qui indique une direction, mais dont les significations peuvent conduire à la méprise. Celui qui voit une flèche et qui n’est pas familiarisé avec les symboles utilisés peut par exemple estimer qu’il convient de se diriger dans le sens de l’empennage et non pas de la pointe. Pour cette raison, Wittgenstein a beaucoup insisté sur l’importance de la pratique, et notamment sur l’implication du corps dans l’apprentissage[...]

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Écrit par

  • : professeur de sociologie au Conservatoire national des arts et métiers

Média

Wittgenstein - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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