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RÉGULATION, épistémologie

Régulation et société

À la fin de l'Essai sur le principe de population (1798), Malthus, à la recherche de moyens préventifs et curatifs pour accorder l'accroissement de la population aux ressources de subsistance, a nommé vis medicatrix rei publicae le principe de santé démographique, la prudence qu'en matière de reproduction inspire aux hommes le désir d'améliorer leur sort contrebalancé par la crainte de le rendre pire. La formule est plaisante, à défaut sans doute d'être heureuse, car pour qu'elle le soit il faudrait qu'elle se réfère indubitablement à des signes multiples et constants de la présence agissante, dans les sociétés humaines, de fonctions spontanément correctrices d'excès ou de défauts.

On conçoit que Malthus, économiste, ait pu tenir pour générale une relation particulière, encore que fondamentale, la relation économique sous la forme de marché, jugée dans l'optique de l'optimisme libéral. L'équilibre obtenu par interdépendance d'individus concurrents dans la recherche de la plus grande satisfaction au moindre prix serait un signe de régulation spontanée, de la force médicatrice de la société. Mais, indépendamment du fait que les schémas du libéralisme classique exprimaient la méconnaissance du caractère historique, donc non nécessaire ni providentiel, de l'économie capitaliste, toute l'histoire de la science sociale, depuis Auguste Comte et Karl Marx, a consisté à déterminer la forme et la place des rapports économiques dans le système des relations sociales, relations de pouvoir, d'information, d'affectivité. Le concept d'organisation, bon à tout faire chez les politiques et les sociologues, dissimule en fait la question de savoir si et comment une diversité de groupes hétérogènes par leurs fonctions et hiérarchisés par leurs statuts peut être intégrée dans une totalité capable de maintenir sa cohésion à travers le temps, en s'adaptant, sans se dénaturer, à des situations historiques partiellement imprévues. Au regard de l'organisation d'un organisme dont le fait qu'il existe comme vivant exprime exactement l'efficacité de ses appareils régulateurs, l'organisation sociale fait figure de tentative toujours en cours, de projet toujours inachevé.

On peut dire que, jusqu'à présent, il n'y a pas coïncidence dans un même sujet social des besoins vécus et des moyens connus de les satisfaire. Chez l'animal, il y a, grâce précisément au couplage d'un récepteur sensible et d'un effecteur dans un dispositif de régulation vitale, une causalité immédiate du besoin organique. Il n'existe rien de tel dans les sociétés où les besoins sont médiatisés dans des représentations, opinions, programmes de revendications. En dehors de la contrainte de l'autorité, moyen aveugle autant qu'immémorial, aucune société complexe, comme le sont les sociétés industrielles contemporaines, n'a encore réussi à se donner lucidement les moyens d'abolir ce que Comte appelait, en 1819, la « séparation générale entre les opinions et les désirs ». À l'époque du Cours de philosophie positive(Cinquantième Leçon, 1838), Comte remarquait encore que « la société ne saurait se tromper complètement sur ses besoins réels, quoiqu'elle soit souvent égarée sur les moyens convenables d'y satisfaire ». C'est pourquoi il concevait la politique positive comme une fonction générale de « régulation sociale » (Système de politique positive, t. II, chap. v, 1852). Lui qui parlait volontiers d'organisme collectif ou d'organisme social a pourtant noté que sa différence spécifique est la capacité de composition progressive par « l'acquisition de nouveaux organes, même essentiels ». C'est bien là, en effet, que semble située la limite à l'importation en sociologie[...]

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Étienne Geoffroy Saint-Hilaire - crédits : Wellcome Collection ; CC BY 4.0

Étienne Geoffroy Saint-Hilaire

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