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RELATION

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La méthode axiomatique

La méthode axiomatique permet d'aborder le problème de la nature de la relation par un tout autre biais. Elle consiste à donner une caractérisation implicite de la notion en énonçant certaines propositions dans lesquelles elle figure ; le contenu de la notion est alors déterminé par les possibilités déductives contenues dans ces propositions (c'est-à-dire qu'il est exprimé par ces propositions et toutes celles qui en dérivent). C'est dans le cadre de la logique mathématique que cette méthode a été appliquée à la notion de relation. Auguste De Morgan (1806-1871) est considéré comme le véritable fondateur de la théorie logique des relations. On en trouve cependant déjà quelques anticipations chez les logiciens grecs et chez les scolastiques. Les premiers développements d'une théorie des relations ont été élaborés par Gottfried Ploucquet (1716-1790) et surtout par Johann Heinrich Lambert (1728-1777). De Morgan introduit les opérations élémentaires sur les relations et en étudie les propriétés. Des contributions importantes ont été apportées, dans la seconde moitié du xixe siècle, à la théorie des relations par Ernst Schröder (1841-1902) et, indépendamment de lui, par Charles Sanders Peirce (1839-1887).

Les relations selon Bertrand Russell

C'est surtout dans l'œuvre de Bertrand Russell (1872-1970) que la théorie moderne des relations prend tout son essor. On peut discerner deux étapes dans l'élaboration de la doctrine russellienne des relations : celle des Principles of Mathematics (1903) et celle des Principia Mathematica (publiés par Russell, en collaboration avec Alfred North Whitehead, en 3 volumes, de 1910 à 1913). Dans les Principles, Russell adopte une théorie intensionnelle des relations. Alors qu'il adopte un traitement extensionnel des classes (consistant à traiter une classe comme l'ensemble des individus qui en font partie), il adopte le parti de traiter les relations comme des concepts et non comme des classes (de couples). Cette façon de faire, qu'il ne prétend pas le mieux fondée philosophiquement, lui paraît plus commode, parce qu'elle permet de rendre compte plus élégamment de la différence de statut entre les termes. Dans une relation à deux termes (c'est le cas envisagé par Russell), il faut distinguer l'antécédent et le conséquent (que Russell appelle respectivement referent et relatum). Une proposition telle que aRb (a est dans la relation R avec b) est différente de la proposition bRa. Cela est évident dans le cas des relations asymétriques (par exemple, dans le cas de la relation « plus grand que »). Mais, selon Russell, c'est aussi le cas même lorsque la proposition aRb est équivalente à la proposition bRa. Autrement dit, le sens de la relation – et donc l'ordre des termes qu'elle relie – fait partie intrinsèque de sa signification. Si on adopte une théorie extensionnelle, qui consiste à traiter une relation comme la classe des couples de termes dont elle se vérifie, on devra introduire la notion de couple ordonné (qu'il faut bien distinguer de la simple notion de couple) comme notion primitive. Or, l'idée d'ordre présuppose celle de relation (« l'assertion selon laquelle a est le référent et b le relaté implique déjà une proposition purement relationnelle dans laquelle a et b sont des termes, bien que la relation ainsi affirmée soit seulement la relation générale de référent à relaté »[Principles of Mathematics]).

Mais le choix du point de vue intensionnel impose une contre-partie : il faudra introduire un axiome spécial stipulant que tout couple d'individus est caractérisé par une relation (en ce sens qu'à tout couple correspond une relation qui se vérifie de ce couple et ne se vérifie d'aucun autre). Dans une version extensionnelle de la théorie, cet axiome ne serait pas nécessaire.

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La notation utilisée est fort simple. Si R est un symbole dénotant une relation, l'expression xRy exprime la fonction propositionnelle « x a la relation R avec y » (une fonction propositionnelle est une expression, contenant des variables, qui devient une proposition lorsque les variables prennent des valeurs déterminées, c'est-à-dire sont remplacées par des constantes ; et une proposition est une expression susceptible d'être vraie ou fausse).

Les axiomes posés par les Principles à la base de la théorie des relations sont les suivants :

1. La fonction propositionnelle xRy est une proposition pour toutes les valeurs de x et de y.

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2. Toute relation a une converse (si R est une relation, il existe une relation R' telle que xRy est équivalente à yR'x, pour toutes les valeurs de x et de y ; par exemple, la converse de la relation « plus grand que » est « plus petit que »).

3. Entre deux termes quelconques, il existe une relation qui n'a pas lieu entre deux autres termes.

4. La négation d'une relation est une relation (la négation d'une relation joue à l'égard de celle-ci le même rôle que la complémentaire d'une classe à l'égard de celle-ci ; par exemple, la négation de la relation « allié de » est « non-allié de »).

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5. Le produit logique d'une classe de relations est une relation (ce produit logique consiste en l'assertion simultanée des relations de la classe ; par exemple, le produit logique des relations « voisin de » et « plus âgé que » est la relation « à la fois voisin et plus âgé que »).

6. Le produit relatif de deux relations est une relation (on appelle produit relatif de deux relations R et S la relation qui existe entre x et z lorsqu'il y a un terme y tel que la relation R existe entre x et y et la relation S entre y et z ; par exemple, le produit relatif des relations « frère de » et « père de » est « oncle de »).

D'autres axiomes affirment l'existence de certaines classes liées aux relations. Ainsi, on aura les axiomes suivants : a) les termes ayant une relation donnée à un terme donné forment une classe ; b) les antécédents d'une relation donnée R forment une classe ; on l'appelle le domaine de la relation R.

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Il s'ensuit (par considération de la relation converse) que les conséquents d'une relation donnée R forment aussi une classe. On l'appelle le contre-domaine de la relation R. La classe formée par l'union des deux précédentes est appelée le champ de la relation R.

L'un des aspects les plus intéressants, du point de vue philosophique, de la doctrine des Principles est le « principe des relations externes ». Ce principe est étroitement lié à l'une des présuppositions des Principles, que Russell reprend à son contemporain G. E. Moore (1873-1958) : « Le pluralisme concernant le monde, aussi bien celui des choses existantes que des entités, en tant qu'il est composé d'un nombre infini d'entités mutuellement indépendantes, avec des relations qui sont ultimes, et non réductibles à des attributs de leurs termes ou du tout que ceux-ci composent » (Preface). Moore et Russell s'opposent au principe inverse des « relations internes », selon lequel toute relation est intrinsèque, c'est-à-dire « pénètre de façon essentielle l'être de ses termes » (selon la présentation qui en est donnée par F. H. Bradley, dans Appearance and reality, cité par A. J. Ayer, Russell and Moore). Ce principe est à la base, d'une part, de la monadologie, d'autre part, des différentes variétés de monisme. Pour Russell, cette conception de la relation est particulièrement inapplicable aux relations asymétriques (une relation est asymétrique si elle est incompatible avec sa converse ; ainsi, les relations « plus grand que », « antérieur à », « à gauche de » sont asymétriques). Il la critique en montrant que, dans le cas des relations asymétriques en tout cas, un jugement de relation est irréductible à un jugement de prédication (il apparaît ainsi d'ailleurs que la thèse des relations externes consiste en définitive à affirmer le caractère irréductible des jugements de relation). Selon la conception monadologique, une proposition telle que aRb doit s'analyser en deux propositions prédicatives telles que ar1 et br2. Par exemple, la proposition « a est plus grand que b » s'analysera en deux propositions dont l'une attribuera à a le prédicat « plus grand que b » et dont l'autre attribuera à b le prédicat « plus petit que a ». Chacun de ces prédicats contient une référence à l'un des termes en présence. Selon la théorie des relations internes, le prédicat « plus grand que b », qui exprime la relation de a à b, appartient intrinsèquement au terme a, et de même le prédicat « plus petit que a » appartient intrinsèquement à b ; ces deux termes a et b, étant ainsi caractérisés intrinsèquement par des prédicats différents, diffèrent intrinsèquement l'un de l'autre. Mais, en réalité, l'analyse de ces termes, pris chacun pour son propre compte, ne permet pas de les différencier. Ils ne se distinguent l'un de l'autre que parce qu'ils ont des attributs différents, mais ces attributs sont extrinsèques, en ce sens que l'attribut de a contient une référence à b et que l'attribut de b contient une référence à a. Les prédicats invoqués présupposent en réalité la relation affirmée entre a et b par la proposition de départ. Dans le cas général, si la relation R est supposée asymétrique, il faut pouvoir exprimer la différence entre le rôle de a et celui de b. L'un au moins des prédicats r1 ou r2 doit exprimer cette différence. Mais chacun d'eux contient une référence à un terme autre que celui auquel il est attribué et met ainsi en œuvre la relation R elle-même. Ainsi, la différence en question n'est autre que cette relation R ; elle ne lui est pas antérieure et n'est pas fondée dans une différence qui serait intrinsèque aux termes a et b.

Selon la conception moniste, une proposition telle que aRb doit être ramenée à une proposition prédicative du type (ab)r, attribuant un certain prédicat r au tout composé de a et de b. Mais cette façon de voir ne permet absolument pas d'expliquer la différence entre (ab)r et (ba)r, dans le cas où la relation R est asymétrique. Du reste, on peut faire valoir contre le point de vue moniste divers arguments de type général. On peut dire, par exemple, que la proposition « a est une partie de b », selon la théorie moniste, se ramène à une proposition qui affirme quelque chose du tout composé de a et de b. Et ce tout doit être considéré comme distinct de ses parties. Si cette nouvelle proposition n'est pas en termes de tout et de partie, « il n'y aura pas de jugements vrais du tout et de la partie, et il sera dès lors faux de dire qu'une relation entre les parties est en fait un attribut de tout » (Principles). Si elle est en termes de tout et de partie, il faudra faire appel à une nouvelle proposition pour expliquer sa signification, et ainsi de suite. Si on abandonne la supposition selon laquelle le tout composé de a et de b est distinct de b, on est amené à admettre qu'un tout est simplement la somme de ses parties, ce qui constitue un abandon de la position moniste. Finalement, les monistes sont amenés à soutenir que « le seul véritable tout, l'absolu, n'a pas de parties du tout et qu'aucune proposition concernant celui-ci ou quoi que ce soit d'autre n'est tout à fait vraie ».

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Au principe des relations externes doit être rattaché le principe d' abstraction. Russell semble tenir ces deux principes pour équivalents, mais J. Vuillemin a montré, dans ses Leçons sur la première philosophie de Russell, que l'on ne peut passer du premier au second que moyennant l'intervention d'un principe supplémentaire, qui constitue une certaine forme du célèbre rasoir d'Occam : « Une analyse ne doit jamais être arrêtée sans nécessité. » Le principe d'abstraction est formulé par Russell sous la forme d'un axiome, comme suit : « Toute relation transitive symétrique, qui est réalisée au moins dans un cas, est analysable en la possession conjointe d'une nouvelle relation à un nouveau terme, la nouvelle relation étant telle qu'aucun terme ne peut avoir cette relation à plus d'un terme mais que sa converse n'a pas cette propriété. » (Une relation R est dite transitive si, lorsqu'on a xRy et yRz, on a aussi xRz.) Ce principe revient à affirmer qu'une relation symétrique transitive dérive d'une propriété commune qui est propre aux termes liés par la relation en question. Comme l'explique Russell, une relation symétrique et transitive joue, formellement, le rôle d'une égalité. Les termes entre lesquels existe une telle relation ont entre eux quelque chose de commun : c'est le « nouveau terme », introduit par le principe d'abstraction. Soit, par exemple, une relation symétrique et transitive R telle que aRb et bRc (et donc aussi aRc). Aux termes a, b et c correspond une propriété ; représentons-la par le terme A. Entre chacun des termes a, b, c et ce terme A, il y a une relation asymétrique S de type plusieurs-un (plusieurs antécédents – un seul conséquent). La proposition aRb est équivalente à la proposition complexe aSA et bSA.

Ce principe trouve une application particulièrement remarquable dans la célèbre définition de la notion de nombre cardinal, selon laquelle le nombre (cardinal) d'une classe est « la classe de toutes les classes semblables à la classe donnée ». La relation de similitude utilisée est une relation réflexive, symétrique et transitive : deux classes sont dites semblables si elles peuvent être mises en correspondance 1-1 (terme à terme) l'une avec l'autre. Le nombre d'une classe est la propriété commune (considérée comme une classe) correspondant à cette relation : le nombre n par exemple est la propriété commune de toutes les classes semblables à une classe donnée K de n objets. Toutes les classes semblables à cette classe K possèdent cette propriété et aucune autre classe ne la possède. Et toute classe appartenant à la classe de classes en question (c'est-à-dire à la classe définissant le nombre n) possède, à l'égard de cette classe de classes, une relation qu'elle n'a à l'égard d'aucune autre.

C'est le même procédé qui conduit à la notion de nombre ordinal. La relation utilisée en l'occurrence est une relation de similitude ordinale. Les termes auxquels elle s'applique sont eux-mêmes des relations : ce sont des « relations de bon ordre », c'est-à-dire des relations asymétriques et transitives, capables d'ordonner un ensemble de termes pour en faire une « série » et cela de telle sorte que toute partie de cette série ait un premier terme. Un nombre ordinal est ce qu'il y a de commun aux relations de bon ordre qui ordonnent de la même façon les séries qu'elles engendrent. Soit R1 et R2 deux relations de bon ordre, C1 et C2 leurs champs respectifs. On dira que R1 et R2 sont semblables s'il existe une relation 1-1 S qui a pour domaine le champ de R1 et telle que R2 est identique au produit relatif de S′ (converse de S), R1 et S. (Soit x et y deux éléments de C1 tels que xR1y. Soit u et v les termes de C2 correspondant respectivement à x et à y par S. En partant de u, on peut remonter à x par S′, puis passer de x à y par R1 et, de là, à v par S. Il faut que l'on ait uR2v, autrement dit que l'on aboutisse au même terme par le chemin S′R1S et par le chemin R2.) Le principe d'abstraction permet alors de définir le nombre ordinal d'une relation de bon ordre R comme la classe des relations semblables à R (Principles).

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Les Principia Mathematica adoptent une théorie extensionnelle des relations. Dans cet ouvrage, une relation est considérée comme la classe des paires ordonnées dont se vérifie une fonction propositionnelle donnée à deux arguments. La classe des relations est définie comme la classe des entités R pour lesquelles il existe une fonction propositionnelle ϕ telle que R est identique à la classe de paires (x, y) pour lesquelles la proposition ϕ (x, y)) est vraie. Sur cette base, on retrouve tous les concepts introduits (soit par voie d'axiomes, soit par voie de définitions explicites) dans les Principles.

La théorie des relations d'Alfred Tarski

Dans l'œuvre de Russell, la théorie des relations s'inscrit dans un projet général : celui du logicisme. Les Principles formulent ce projet de la manière suivante : il s'agit de démontrer « que les mathématiques pures tout entières traitent exclusivement de concepts définissables dans les termes d'un très petit nombre de concepts logiques fondamentaux et que toutes leurs propositions sont déductibles d'un très petit nombre de principes logiques fondamentaux » (Preface). Le concept de relation est précisément l'un des « indéfinissables » de nature logique sur la base desquels le logicisme se propose de reconstruire l'ensemble des mathématiques. Les positions logicistes ont été critiquées à divers titres, tant du côté intuitionniste que du côté formaliste, mais la théorie des relations a continué à se développer indépendamment de ces controverses. Alfred Tarski, en particulier, a repris, dans un mémoire fort important de 1941, le problème d'une élaboration systématique de cette partie de la théorie des relations qu'on appelle le calcul des relations binaires (en se rattachant directement aux perspectives ouvertes par les travaux de Peirce et de Schröder). Il s'agit de l'étude formelle des propriétés des opérations que l'on peut pratiquer sur les relations binaires (c'est-à-dire sur les relations reliant deux termes).

Tarski indique deux méthodes pour élaborer un calcul des relations. La première consiste à considérer un tel calcul comme une partie d'une théorie logique plus générale, le calcul fonctionnel du premier ordre (ou logique des prédicats du premier ordre), qui admet deux catégories de variables – des variables pour individus et des variables pour prédicats – et qui n'applique les opérations de quantification qu'aux variables pour individus. On se bornera à considérer les expressions que l'on peut former à partir d'expressions élémentaires du type xRy (x a la relation R avec y), ne comportant que deux variables individuelles et une variable de prédicat (à deux arguments). Et on enrichira la portion de théorie ainsi considérée en lui ajoutant quatre constantes relationnelles (1, 0, 1′ et 0′, désignant respectivement la relation universelle, la relation nulle, la relation d'identité et la relation de diversité), six opérations (négation, formation de la converse, somme (R ou S), produit (R et S), somme relative (relation qui existe entre x et y lorsque, quel que soit z, ou bien xRz ou bien zSy), produit relatif [relation qui existe entre x et y s'il y a un z tel que xRz et zSy]) et le prédicat d'identité entre relations. Des axiomes appropriés fixent le sens des termes nouveaux ainsi introduits.

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La seconde méthode proposée par Tarski consiste à construire une théorie indépendante, qui ne contient que des variables pour relations, les mêmes constantes (constantes relationnelles, opérations et prédicat d'identité entre relations) que ci-dessus et les connecteurs logiques habituels à l'exception des quantificateurs. Les propositions élémentaires sont du type R = S, où R et S désignent des relations. La théorie comporte trois groupes d'axiomes. Un premier groupe fixe le sens des connecteurs logiques ; on n'y trouve rien de plus que dans les diverses versions du calcul des propositions. Un second groupe fixe le sens des constantes « absolues » (1, 0, négation, somme, produit, =) ; il a même structure formelle que l'algèbre de Boole (on peut l'obtenir à partir de celle-ci en remplaçant les variables pour classes par des variables pour relations). Et un troisième groupe fixe le sens des concepts « relatifs » (1′, 0′, formation de la converse, somme relative, produit relatif) : il exprime ce qu'il y a de spécifique au calcul des relations. Dans le cadre de cette théorie, Tarski démontre notamment le métathéorème suivant, qui a une portée très générale : « Toute proposition du calcul des relations peut être transformée en une proposition équivalente de la forme « R = S », et même de la forme « T = 1 » (On the Calculus of Relations).

Mais le calcul des relations binaires ne constitue évidemment qu'une petite partie de la théorie des relations, qui représente un champ de recherche immense. On se bornera ici à relever trois lignes de développement : la théorie des types de relation, la théorie des relations arithmétiques, la théorie des multirelations.

Les bases de la théorie des types de relation ont été établies par Tarski dans Ordinal Algebras. Il s'agit, en fait, d'une généralisation de la théorie des ordinaux. Comme on l'a vu plus haut, un nombre ordinal représente ce qui est commun à des relations de bon ordre semblables. Selon le vocabulaire de la théorie des ensembles, c'est un type de bon ordre : c'est ce qui caractérise un certain mode de bonne ordination. Les types de bon ordre ne sont qu'un cas particulier d'une catégorie plus générale : les types d'ordre (caractérisant les relations d'ordination semblables). Et ceux-ci à leur tour ne sont que des cas particuliers d'une catégorie plus générale encore : les types de relation (caractérisant des relations quelconques isomorphes entre elles). De même que l'on peut définir des opérations sur les nombres ordinaux, on peut définir des opérations sur les types de relation (en général) et en étudier les propriétés. C'est l'objet de la théorie des types de relation.

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Soit R et S deux relations binaires, C1 et C2 leurs champs respectifs. On dit que ces relations sont isomorphes s'il existe une correspondance f 1-1 entre C1 et C2 telle que, si xRy, alors f(x) S f (y) et réciproquement. Il résulte de cette définition que l'isomorphe entre deux relations est elle-même une relation réflexive, symétrique et transitive. Une telle relation est appelée relation d'équivalence. Elle permet d'associer à toute relation R un type de relation τ(R) et cela de telle sorte que, si R est isomorphe à S, τ(R) = τ(S) et réciproquement (deux relations isomorphes entre elles ont même type, et deux relations de même type sont nécessairement isomorphes ; un type de relation caractérise ce qui est commun à une collection de relations isomorphes entre elles). Sur les types de relation, on peut définir certaines opérations binaires. En fait, la seule qui présente un intérêt mathématique est ce que Tarski appelle l'addition ordinale. Si α et β sont des types de relation, la somme ordinale de α et β est le type commun à toutes les relations T qui peuvent être représentées comme la somme de deux relations R et S telles que R est de type α et S de type β. Les propriétés de cette opération sont étudiées dans le cadre d'une théorie algébrique, appelée par Tarski théorie des algèbres ordinales.

Relations arithmétiques, multirelations, structure, système

La théorie des relations arithmétiques a été développée sur des bases établies par les travaux de Stephen Cole Kleene, dans le cadre de la théorie des fonctions et prédicats d'entiers. Un prédicat d'entiers à n arguments peut être considéré (extensionnellement) comme une partie de l'ensemble des n-uples d'entiers. Une fonction à n arguments peut être considérée comme une relation de type plusieurs-un entre l'ensemble des n-uples d'entiers et l'ensemble des entiers lui-même. On peut généraliser ces notions de la manière suivante : au lieu de considérer simplement des n-uples d'entiers, nous allons considérer des (m + n)-uples d'objets formés de m fonctions d'entiers à 1 argument et de n entiers ; nous appellerons relation (m, n)-aire une partie de l'ensemble de ces (m + n)-uples, et nous appellerons une fonctionnelle une relation de type plusieurs-un entre l'ensemble des (m + n)-uples en question et l'ensemble des entiers, autrement dit une correspondance qui, à tout (m + n)-uple du type ci-dessus, associe un nombre entier et un seul.

Une relation P est dite arithmétique si elle peut être définie de façon explicite de la manière suivante :

où α désigne un (m + n)-uple (du type ci-dessus), Qx1, Qx2, ..., Qxn des quantificateurs universels ou existentiels et R une relation récursive (en termes intuitifs, on dira qu'une relation est récursive lorsqu'on peut déterminer, grâce à une procédure effective, si cette relation se vérifie ou ne se vérifie pas de ses arguments). On pourra caractériser une relation arithmétique selon le type de la suite formée par les quantificateurs. On dira qu'une relation est du type Σ0n (ou Π0n ) si elle admet une définition du type ci-dessus, si l'on n'a pas, dans sa définition, de quantificateurs adjacents du même type et si le premier quantificateur est existentiel (ou universel). Tout prédicat arithmétique est récursif (cas où n = 0) ou du type Σ0n ou du type Π0n , pour un certain n ≥ 1. On obtient ainsi une classification des relations arithmétiques appelée hiérarchie arithmétique.

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Une relation P est dite analytique si elle peut être définie de façon explicite sous la forme :

où α et β désignent des (m + n)-uples (au sens ci-dessus), Q1, ..., Qk des quantificateurs portant sur les variables du (m + n)-uple β (il y a donc quantification sur des variables pour fonctions). On dira qu'une relation est du type Σ1n (ou Π1n ) si elle admet une définition du type ci-dessus, si le nombre des quantificateurs pour fonction est n et si le premier quantificateur est existentiel (ou universel). Toute relation analytique est arithmétique (cas où n = 0) ou du type Σ1n , ou du type Π1n , pour un certain n ≥ 1. On obtient ainsi une classification des relations analytiques appelée hiérarchie analytique.

Une relation est dite du type Δ1n si elle est à la fois du type Σ1n et du type Π1n . Il apparaît que les relations arithmétiques constituent une sous-classe propre des relations Δ11 . Pour obtenir une caractérisation de ces dernières relations, il a fallu créer le concept de relation hyperarithmétique. On obtient cette catégorie de relations en utilisant les opérations ensemblistes de complémentation et d'union. On a alors le théorème de Souslin-Kleene : Une relation est du type Δ11 si et seulement si elle est hyperarithmétique (cf. J. R. Schoenfield, Mathematical Logic, chap. VII).

La théorie des multirelations a été développée par Roland Fraïssé. Cette théorie considère des suites finies de relations, dont chacune peut avoir un nombre quelconque (fini) d'arguments. Elle permet donc de considérer des entités mathématiques définies simultanément par plusieurs relations, par exemple les groupes ordonnés, qui font intervenir à la fois une relation binaire (définissant l'ordre) et une relation ternaire (définissant l'opération de composition du groupe). La théorie définit une notion d'isomorphisme qui généralise la notion introduite plus haut pour les relations binaires. Cette notion se révèle d'une extrême fécondité. Elle fournit en particulier un instrument qui permet d'explorer les relations entre la théorie des relations et l'algèbre logique.

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Ce qui donne à la notion de relation un rôle de premier plan dans les problèmes fondationnels, c'est qu'elle est à la base de la notion de structure. Intuitivement, on pourra dire qu'une certaine entité complexe est structurée si on peut discerner des relations caractéristiques reliant les éléments de cette entité. Ce qui est propre à l'idée de structure, c'est la forme en tant que telle. Une structure se réalise en fait à travers des relations déterminées, reliant des entités appartenant à un domaine déterminé ; mais la structure comme telle est indépendante de ces relations et de ce domaine. De façon plus précise, une structure est définie par des propriétés formelles de relation, c'est-à-dire par des propriétés susceptibles de caractériser une relation en tant que telle, abstraction faite de la nature particulière des entités sur lesquelles elle opère et des aspects particuliers dont elle peut être affectée elle-même du fait qu'elle a tel ou tel domaine d'entités pour champ d'application. Ainsi, la réflexivité, la symétrie, la transitivité sont des propriétés formelles de relations.

Illustrons cela par deux exemples : l'un nous sera fourni par la conception mathématique de la structure, l'autre par le projet philosophique d'un système constructionnel.

Les Éléments de mathématique de N.  Bourbaki prennent le concept de structure comme concept fondamental : ils présentent les mathématiques comme la science des structures. Ainsi, la théorie des ensembles ordonnés étudie en fait les structures d'ordre, c'est-à-dire les structures définies par une relation d'ordre. Or ce qui caractérise une relation comme relation d'ordre, ce sont certaines propriétés formelles (asymétrie et transitivité) qui sont indépendantes des ensembles particuliers que la relation ordonne et de l'espèce particulière d'ordination dont il s'agit. Ces considérations peuvent se généraliser pour des structures plus compliquées. L'une des conditions essentielles dans la définition d'une structure, c'est le caractère transportable de la relation qui la spécifie (cf. N. Bourbaki, Éléments de mathématique, Théorie des ensembles, chap. IV, paragr. 1, 3 et 4). Intuitivement, on peut exprimer cette condition en disant que cette relation doit être indépendante de son support (qui est de nature ensembliste) ; or ce par quoi elle a ce caractère, c'est son aspect formel.

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L'idée de système constructionnel a été proposée par R. Carnap dans Der logische Aufbau der Welt (1928). Elle a été reprise depuis lors, sur d'autres bases, par N. Goodman dans The Structure of Appearance (1951). Elle consiste à élaborer une sorte de généalogie de concepts, sous la forme d'une construction partant d'un petit nombre de concepts fondamentaux et définissant à partir de là, de proche en proche, les autres concepts du système, de façon à couvrir finalement tout le champ de la connaissance rationnelle. Quoi qu'il en soit des difficultés qu'a rencontrées la mise en œuvre de cette idée et des objections qui lui ont été adressées, il est instructif de noter le rôle que Carnap entendait faire jouer à la notion de relation dans la réalisation de son projet. Selon lui, la science ne vise qu'à décrire les « propriétés structurelles » des objets. Un tel type de description se distingue aussi bien d'une description qui porterait sur les propriétés des éléments du domaine considéré que d'une description qui porterait, directement, sur les relations qui existent entre ces éléments (considérées dans leur aspect concret). Il consiste à mettre en évidence les propriétés formelles des relations qui entrent en jeu dans le domaine étudié. Selon Carnap, c'est précisément parce qu'elle porte sur ces structures que la science peut acquérir une validité intersubjective. Les expériences individuelles, dans leur contenu concret, sont incomparables. Si un accord intersubjectif est possible, ce ne peut être qu'au niveau de la description formelle des structures. C'est dire que la pensée discursive se situe au niveau des formes qui sont immanentes à l'expérience, non au niveau de l'expérience proprement dite. Bien entendu, il s'agit de dégager ces formes ; c'est là précisément le but que s'assigne le programme constructiviste. Dans le système de Carnap, la relation de base qui est utilisée est la « reconnaissance de similarité » (Ähnlichkeitserinnerung), qui est une relation asymétrique (deux expériences élémentaires x et y ont entre elles cette relation si elles sont reconnues comme partiellement semblables grâce à une comparaison de l'image mémorielle de x avec y). Cette relation permet de définir la relation de « similarité partielle » (Teilähnlichkeit) qui est réflexive et symétrique (deux expériences x et y sont partiellement semblables si la relation de reconnaissance de similarité vaut entre x et y ou entre y et x). Grâce à cette relation, il sera possible de pratiquer sur les expériences élémentaires (considérées comme des unités indécomposables) une « quasi-analyse », c'est-à-dire de les partager en classes telles que deux expériences élémentaires appartenant à la même classe sont partiellement semblables entre elles et qu'aucune expérience élémentaire extérieure à une classe ne peut avoir cette relation avec toutes les expériences de la classe. Ces classes sont des « quasi-constituants » appelés « classes de qualité » ; elles représentent les qualités sensibles.

La théorie des relations, en tant qu'elle étudie précisément les relations sous leur aspect formel, constitue le cadre le plus général de l'étude des structures et apparaît ainsi comme une discipline fondationnelle dont la signification stratégique est d'ordre tout à fait primordial.

— Jean LADRIÈRE

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  • : professeur émérite à l'université catholique de Louvain (Belgique)

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    ...peut pas comprendre comment la modification de l'état d'un corps a pour effet la modification d'un autre corps. Leibniz et Malebranche montrent que les relations importent plus que les substances. À l'action d'une substance qui se transporte dans une autre, et qui est inintelligible, Leibniz substitue...
  • DURAND DE SAINT-POURÇAIN (entre 1270 et 1275-1334)

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    Dominicain malmené, pour ses prises de position antithomistes, par son ordre officiellement rangé derrière l'Aquinate, Durand, né à Saint-Pourçain (actuellement Saint-Pourçain-sur-Sioule, Allier), est en 1303 au couvent parisien des Frères prêcheurs. Élève de Jacques de Metz, lui-même dominicain...

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