RELIGION L'anthropologie religieuse
Le champ de l'anthropologie religieuse
L'homme doit certes, pour subsister, lutter contre la nature environnante ; mais il n'envisage pas le monde seulement à travers ses besoins physiques. Il donne aux choses un sens qui les arrache au simple donné objectif pour les faire entrer dans le domaine des symboles ou des valeurs. L'anthropologie religieuse part de la constatation de l'existence, à côté de l'activité technique, d'une autre activité, spécifique de notre condition humaine : l'activité symbolique.
Mais qu'est-ce qui distingue les symboles religieux – les actes d'appréhension, les actes de construction ou d'utilisation de ces symboles comme l'ensemble des attitudes envers eux – des autres symboles culturels ? En un mot, qu'est-ce qui définit la sphère du religieux ? Cette question n'a pas grand sens pour les peuples que l'on appelait autrefois primitifs, car l'ensemble du culturel est à peu près coextensif à l'ensemble du religieux. Le mythe détermine les gestes de l'agriculteur, du chasseur ou du pêcheur, comme le plan de sa demeure, sa façon de manger, de faire l'amour, de mourir. Certes, l'ethnographe sur le terrain est sans doute plus sensible à ce qui est mystérieux ou mystique qu'à ce qui constitue la trame de la vie quotidienne et il risque, dans ses descriptions, de donner une image qui valorise les aspects religieux au détriment des autres. Tout n'est pas symbolique et il existe aussi, à côté de la pensée mythique, une pensée empirique, faite de l'expérience très riche des objets naturels. Il faut donc bien définir la sphère du sacré par rapport à celle du profane. Nous pensons, après Durkheim, que le religieux se définit par cette opposition même ; nous n'avons pas à imposer nos perspectives ethnocentriques et nos conceptions, nous n'avons même pas à chercher, croyons-nous, une explication de ce sentiment du sacré : catégorie de « numineux » selon Rudolf Otto, ou prise de conscience des émotions collectives engendrées par le rassemblement des individus selon Durkheim, ou toute autre théorie. Il nous suffit de partir des systèmes tels que nous les donnent les indigènes que nous étudions et de décrire, pour chaque peuple, l'ensemble des représentations qu'ils appellent « religieuses », des institutions qui les supportent, et des gestes de manipulation de ce qu'ils considèrent comme sacré. Nous évitons ainsi, autant que faire se peut, de nous mettre dans l'objet de nos recherches pour pouvoir, à un stade postérieur, comparer du dehors ces systèmes entre eux.
Nous nous refusons donc à considérer l'anthropologie religieuse comme l'étude de l'irrationnel ou, si l'on préfère, de l'affectivité pure. Le mérite sans doute de l'école « fonctionnaliste » a été de montrer que les coutumes qui nous paraissent à première vue « irrationnelles » constituent un genre de vie cohérent parce que « fonctionnel », que les sévices de l'initiation permettent la maturation de l'individu de la même façon que les règles compliquées de la divination assurent le contrôle politique des chefs ou des pères. Cependant le fonctionnalisme nous fait rester dans l'anthropologie sociale. Le rationnel est cherché dans le « latent » des institutions religieuses et dans leurs rapports avec l'ensemble de la vie sociale. Il existe une autre rationalité qui nous introduit, elle, dans le religieux et qui le définit.
Si nous avons tendance à opposer le religieux des primitifs au rationnel, c'est que nous jugeons leurs conduites à travers notre propre conception du rationnel et du mystique ; mais ce que nous appelons mystique aujourd'hui n'est rien d'autre que du rationnel que nous ne comprenons plus ; c'est du rationnel déclassé. Ce sont, si l'on veut,[...]
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Écrit par
- Roger BASTIDE : professeur honoraire à l'université de Paris-I
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