RELIGION La sécularisation
Une mutation de la société religieuse
Le siècle pénètre la religion
Le processus selon lequel les religions se laissent pénétrer par un esprit ou des activités profanes n'est pas nouveau et précède de beaucoup le terme de sécularisation. Ce qui est plus particulier, c'est la sécularisation de la société rejaillissant sur la vie religieuse (pour l'islam et en particulier en ce qui concerne les chefs religieux officiels, sous la domination coloniale, voir les analyses de J. Berque). À vrai dire, tout dépend encore du sens donné au mot « sécularisation ». S'il s'agit de la perte de l'esprit religieux dans la société, celle-ci peut ne faire qu'un avec un affaiblissement interne de la religion. Certes, la religion a des aspects multiples, mais, lorsque la place prise par les préoccupations religieuses elles-mêmes diminue parmi les adeptes d'une religion, on parlera de « sécularisation » de la religion dans le sens global du terme (C. Glock, R. Stark, 1965). Mais, dans un sens plus précis, on verra tel élément sécularisé venir imprégner la religion dont il est issu. Tel serait le cas, selon une analyse célèbre (W. Herberg, 1955) de la prédication aux États-Unis, dans les trois grands groupes protestant, catholique et juif. Une sorte d'éthique américaine, celle que précisément conteste à l'heure actuelle une partie de l'opinion, s'est formée, gardant du puritanisme le sens de la respectabilité, mais développant une sorte d'eudémonisme des relations sociales. Une telle transformation peut être considérée sous deux points de vue. D'une part, ces thèmes tendent à envahir la prédication au point que les thèmes mystériques et prophétiques s'effacent. Mais aussi, l'éthique prêchée se sécularise, c'est-à-dire qu'elle se développe selon sa propre logique, sans puiser explicitement à une source religieuse. Or, Weber a vu que cela n'impliquait nullement une coupure d'avec l'inspiration religieuse primitive, en particulier lorsqu'on retrouve les sources protestantes de l'éthique économique du capitalisme. Plus généralement, il a montré que la source des morales séculières se trouvait souvent dans une éthique religieuse, oubliant les références de son inspiration originelle.
L'adaptation à la sécularisation de la société
Si on prend l'exemple du catholicisme, on y voit d'abord de dessiner une tendance que l'on peut, en gros, qualifier d' intégriste. D'abord, l'émancipation de la pensée par la voie du libéralisme scientifique et politique est dénoncée. Ce dernier point avait fait l'objet du Syllabus de Pie IX (1864). Alors qu'on précise la distinction entre une sécularisation qui sépare les domaines et une sécularisation conçue comme un recul global du religieux, le propre de l'intégrisme est de voir dans le second processus une conséquence inéluctable du premier. Enfin, l'intégrisme s'élève contre la pénétration de l'esprit séculier dans l'Église elle-même. De telles tendances ont pu être observées aussi dans l'islam, où ce qu'on désigne ici par sécularisation a été en outre affecté du coefficient négatif de ce qui provenait de la domination européenne (J. Berque, 1960).
Contre cette orientation se sont élevés de nombreux théologiens catholiques et protestants. Deux degrés sont à distinguer, souvent confondus chez les auteurs. D'abord, l'Église devrait tenir pour un fait légitime l'émancipation qui conduit à une société sécularisée. Bien des fonctions (solidarité matérielle, thérapeutique, enseignement des sciences profanes, etc.) n'ont été prises en main par l'Église – et le sont encore dans certaines circonstances – que pour suppléer à l'inexistence de leur organisation séculière. À un second degré, il est possible[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- François-André ISAMBERT : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
Classification
Média
Autres références
-
PSYCHOLOGIE DE LA RELIGION
- Écrit par Vassilis SAROGLOU
- 4 087 mots
Pourquoi la religion a-t-elle été présente dans probablement toutes les sociétés humaines et est-elle encore présente chez environ deux tiers de la population mondiale ? Pourquoi, à des degrés variables selon les différentes sociétés, y a-t-il toujours des croyants, des agnostiques et des athées, avec...
-
RELIGION (notions de base)
- Écrit par Philippe GRANAROLO
- 2 991 mots
Deux hypothèses sont en concurrence à propos de l’étymologie du mot « religion ». Pour certains, comme Cicéron (106-43 av. J.-C.), il viendrait du latin religere, qui signifie « relire attentivement », « revoir avec soin ». Pour d’autres, le mot trouverait son origine dans un autre verbe...
-
AFRIQUE NOIRE (Culture et société) - Religions
- Écrit par Marc PIAULT
- 9 619 mots
- 1 média
Considérer les religions négro-africaines comme un ensemble susceptible de définitions appropriées renvoyant à des principes et des règles lui donnant une unité serait accorder une spécificité définitive à leurs manifestations et, au-delà de leur diversité, reconnaître un lien commun entre...
-
ÂME
- Écrit par Pierre CLAIR et Henri Dominique SAFFREY
- 6 020 mots
Dans le monde occidental, la notion d'âme s'est constituée lentement et ne remonte pas à la nuit des temps. On peut suivre les étapes qui jalonnent l'émergence d'un principe spirituel du vivant et qui aboutissent à sa justification philosophique par Platon et Aristote. Souvent...
-
AMÉRIQUE LATINE - Les religions afro-américaines
- Écrit par Roger BASTIDE
- 3 175 mots
- 1 média
-
ANCÊTRES CULTE DES
- Écrit par Mircea ELIADE et Encyclopædia Universalis
- 3 198 mots
- 1 média
C'est Herbert Spencer (1820-1903) qui, le premier parmi les modernes, a fortement souligné l'importance des ancêtres dans l'histoire des religions. En effet, pour le philosophe anglais, le culte des ancêtres serait à l'origine même de la religion. Le « sauvage » considère comme surnaturel ou divin... - Afficher les 146 références