Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

RELIGION (notions de base)

Le profane et le sacré

Même lorsque tout était religieux dans les sociétés humaines existait cependant un espace profane dans lequel une partie de la vie des hommes se déroulait. Le profane est la dimension presque négligeable à laquelle on est contraint de participer en raison de la faiblesse de notre condition, « monde où le fidèle vaque librement à ses occupations, exerce une activité sans conséquence pour son salut », ainsi que l’écrit Roger Caillois (1913-1978) dans L’Homme et le sacré (1950).

À cette dimension s’oppose précisément celle du sacré, « domaine où la crainte et l’espoir paralysent [l’homme] tour à tour », dans lequel « le moindre écart dans le moindre geste peut irrémédiablement le perdre », poursuit Roger Caillois, apportant ainsi une confirmation intéressante à l’étymologie proposée par Cicéron.

La source la plus ancienne d’une telle dualité remonte à la préhistoire, à ce tournant capital qui voit l’animal humain se distinguer de toutes les autres espèces en donnant une sépulture à ses semblables (tournant qui remonte à environ 100 000 ans). Force est de constater, en effet, que toutes les autres définitions de l’homme ont été ébranlées l’une après l’autre : l’humain n’est pas le seul animal qui se sert d’outils, de nombreuses espèces utilisant en effet des outils, parfois très sophistiqués ; il n’est pas le seul animal « parlant », de remarquables systèmes de communication ayant été mis à jour chez de nombreuses espèces ; il n’est pas non plus le seul animal doté de raison, quantité d’animaux faisant preuve d’une logique et d’une prudence parfois supérieures à celle des humains. La seule définition qui a résisté à toutes les objections est donc celle qui fait de l’homme l’animal qui enterre son semblable. Cette originalité donne raison à Henri Bergson (1859-1941) quand il affirme que, si l’on peut trouver dans le passé des sociétés ignorant tout de la science, de l’art ou de la philosophie, « il n’y a jamais eu de société sans religion » (Les Deux Sources de la morale et de la religion, 1933).

Ainsi l’angoisse et le sentiment d’impuissance liés à la conscience de la mort seraient à l’origine de toute religion. Cette généalogie est défendue aussi bien par les Anciens, tel Lucrèce (9456 av. J.-C.) que par les Modernes, nombreux à partager l’affirmation de Thomas Hobbes (1588-1679) : « La crainte d’une puissance invisible feinte par l’esprit ou imaginée à la suite de récits qui bénéficient d’une permission officielle est appelée religion » (Le Léviathan, 1651). Cette crainte opère un dédoublement de la réalité : au monde éphémère dans lequel se déroulent nos existences s’oppose une autre dimension qui vient combler nos espérances.

En Occident, c’est le christianisme qui a porté pour ainsi dire à sa perfection cette vision dualiste, s’inspirant sans doute pour l’élaborer de quelques philosophes antiques, au premier rang desquels Platon (env. 428-env. 348 av. J.-C.) et le néoplatonicien Plotin (env. 205-env. 270 apr. J.-C.). Pour Nietzsche (1844-1900), le christianisme constitue sur le plan métaphysique un « platonisme pour le peuple », comme on peut le lire dans la préface de Par-delà leBien et leMal (1886).

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

Classification