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RELIGION Religion et idéologie

L'histoire des religions indique assez bien, quoique à gros traits, comment naît une religion, comment elle meurt. Mais elle ne montre que des religions qui se succèdent, les cultes nouveaux recouvrant ou transformant les anciens. Elle ne montre nulle part un arrêt de la religion, une coupure de l'élan mystique dans l'humanité. C'est pourquoi elle nous laisse sans recours pour expliquer l'état présent du monde, la crise générale des religions, leur récession.

La fin des idéologies

Pour la conscience occidentale, le drame est d'autant plus aigu que la religion qui s'en va n'est plus celle des dieux, mais celle qui en avait triomphé. La religion de l'idole avait cédé la place à l'iconoclasme juif, au culte en esprit et en vérité, à ce que Hegel nommait « religion absolue ». Si le christianisme décline à son tour, ce n'est pas une religion qui s'efface, c'est la religion qui tombe. Impression confirmée par les marginaux qui s'intitulent post-chrétiens. Le christianisme leur paraît indépassable ; il était le sommet de la religion. Après lui, il n'y aura pas d'autre religion. Avec lui, Dieu a terminé sa carrière ; il rejoint les dieux morts.

Des formules de ce genre sont affligées d'enflure, de vanité littéraire. Mais elles soulèvent des échos passionnés, elles pénètrent tous les milieux, elles ont valeur de symptôme. L'homme contemporain a le sentiment que la religion a épuisé ses vertus ; et il l'a parce que la religion la mieux assurée perd chaque jour du terrain et risque de perdre la partie. Il rend ainsi un hommage indirect au christianisme. Son étonnement de le voir vaincu atteste qu'il le croyait invincible. Même pour l'agnostique, l'usure du « chiffre » chrétien a quelque chose de pathétique. Il la regarde comme le terme de l'illusion religieuse, mais en considérant que l'âme des religions s'est brisée dans son plus grand effort.

Pourtant cette conclusion pessimiste reste ambiguë. Contre les prophètes de malheur, les prophètes de revanche l'ont aussitôt retournée. Le christianisme, glosent-ils, devient sans illusion sur lui-même, il cesse d'être illusion, parce qu'en réalité il n'est pas religion, mais foi ; il n'est pas religieux, mais destructeur de religiosité. En conséquence, il n'y aura plus de religion, de croyances fallacieuses ; mais une foi vive et nue subsistera, une foi démystifiée, démystifiante. Ainsi, la religion serait surmontée par une autocritique du christianisme, par le rejet de ce qui, en lui, est inessentiel, syncrétique, païen. Décanté, il serait pur ; dépouillé, il gagnerait en rigueur. Bref, la foi chrétienne serait enfin adulte, digne d'une science et d'une moralité elles-mêmes adultes.

Si l'on renonce à jouer les devins, on n'a pas à choisir entre des pronostics. En revanche, cet appel au dépassement – de la religion à la foi ou bien de la religion à l'irréligion – semble poser en deux langages un même problème : celui de la fin des idéologies, de la péremption des dogmatismes. Sur ce point, les deux progressismes se rencontrent : celui de certains croyants, celui de certains incroyants, quand les uns et les autres déclarent que le christianisme idéologique est révolu. Il arrive même que l'athéisme de l'athée soit moins virulent que celui de l'apôtre (théologiens de la « mort de Dieu » partisans d'un absolu de charité qui n'est que l'absolu anonyme des actes de charité ; censeurs de la notion de divinité qu'ils jugent arrogante, superstitieuse, entachée de paganisme). Cela aussi est un signe de notre époque et n'est pas forcément une preuve de confusion mentale.

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Écrit par

  • : professeur de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre

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