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RELIGION Religion et idéologie

Symbole, mythe, facteur idéologique

D'où vient cependant que la religion suscite aujourd'hui des paradoxes aussi étranges ? Sans nul doute d'une radicalisation de l'interrogation humaine, d'un refus et d'un dédain de ce qui, même dans la religion (et d'abord dans la société, car les religions, ou les styles de comportement que les langues occidentales désignent de ce nom, appartiennent à l'essence du social), est idéologie, n'est qu'idéologie. Il importe toutefois de clarifier ce concept, de le bien définir. Pour cela on consultera les spécialistes des sciences humaines plutôt que les philosophes. Eux seuls permettent de faire le point sur ce qu'on sait désormais de la constitution des religions.

La structure symbolique de celles-ci est mieux connue. Plus exactement, elle est reconnue. On accorde que la religion a un langage à elle, celui du symbole, irréductible au langage purement conceptuel. On discerne que le symbole fait « sursignifier » un sens premier, qui lui sert d'attache et de matrice, mais accepte d'être oublié au profit d'un sens second, sans être détruit comme sens premier : par exemple, chaque élément naturel (eau, terre, air, feu) demeure ce qu'il est et symbolise indéfiniment, s'irise en métaphores, donne lieu à transports de sens. Le symbolisme religieux s'apparente par là à une poétique, à une onirique, qui a ses lois et son économie ; il n'a pas à être lu comme discours rationnel, bien qu'il ait sa logique.

Déployant des symboles, les religions ne peuvent être que mythiques. Elles ne fournissent pas une explication des choses (contresens souvent commis, même par les théologies). Elles appréhendent le monde comme humain, à l'aide et à partir de prises spontanées qui restent concrètes, au niveau des démarches perceptives. Et elles se livrent à cette appréhension, non pour connaître quoi que ce soit d'un savoir désintéressé, mais pour rendre l'environnement praticable, l'existence supportable, la coexistence viable (les mythes classent, ordonnent, réglementent, pour créer une écologie et une axiologie anthropocentriques, non pour spéculer sur les possibilités formelles du langage, même si le goût du jeu verbal vient très tôt aux civilisations orales, même si l'aptitude raisonneuse et logicienne ne leur fait nullement défaut).

Avec la réhabilitation du mythe, avec la redécouverte du symbole, l'histoire des religions a chance d'interpréter religieusement la religion : ce qui n'a pas toujours été le cas dans le passé. Mais un troisième constituant apparaît, distinct du symbole, qui est surdétermination de certains termes, et du mythe, qui est structuration, explicitation, déploiement réglé d'une symbolique.

Ce troisième constituant est le facteur idéologique, issu de tendances inhérentes à la société : d'abord, de la tendance qu'a chaque communauté d'hypostasier sa propre canonique, d'ériger en principe sa propre régulation ; ensuite, et surtout, de la tendance qu'a la société comme telle de s'idéaliser, de sécréter ensemble son utopie et sa topique, son ordre imaginaire et son ordre réel.

L'idéologie qui naît de la première tendance est une illusion tenace, mais superficielle : le contact avec d'autres styles d'organisation, l'évolution elle-même, le changement des modes de production, des représentations collectives, des institutions, peuvent en accuser la relativité. Mais l'idéologie qui naît de la seconde tendance est moins facilement décelable ; elle fait penser à une illusion constitutive, à une illusion de droit, qui fait corps avec la socialité elle-même et qui ressemble à ce que Kant entendait par illusion transcendantale.

Il ne sert pas à grand-chose de répéter que les idéologies, comme systèmes de croyances,[...]

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Écrit par

  • : professeur de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre

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