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RELIGION Religion et idéologie

La quête de l'objet absolu

Toutes les religions sont des compromis entre ordre et transcendance, car l'homme lui-même est ce compromis, cet accord dissonant. Mais les religions cèdent plus ou moins à la tentation de l'ordre, à la nostalgie du parfait. Elles sont donc plus ou moins idéologiques, il faudrait pouvoir écrire « idologiques », victimes d'une image, d'un mirage. En somme, la religion cherchait l'absolu, ce qui est la définition du mysticisme, et aussi bien le vœu secret, l'aspiration inavouée de l'art, du savoir, de l'amour. Mais elle a fui la voie de la négation, elle ne s'y est fixée qu'un instant ; elle a inventé l'objet absolu, elle l'a accrédité, elle en a même tiré une « despotique » en tous genres. C'est ce prestige qui s'écaille. Cette annonce ne passe plus.

Il est vrai que l'« illusion religieuse » n'affecte pas que les religions. Ou plutôt, si l'on respecte la leçon de l'ethnologue, il est vrai que cette illusion n'éclôt comme religieuse que parce que la société elle-même est emportée par un double mouvement : de transcendance et d'autocélébration, de hauteur et de complaisance à soi. Il s'agit d'un phénomène constant, global, aux attestations diverses : la psychanalyse retrouve dans la clinique individuelle cette quête de l'objet absolu que l'ethnologie des religions présente comme une entreprise collective. Le plus surprenant n'est pas que la critique moderne l'ait dépisté, ruinant les théismes comme apothéose de l'ordre, comme divinisation de la totalité perdue. L'étonnant est qu'elle en reste à une partialité, à une distorsion : elle n'accable que la religion des temples et des autels, elle est indulgente aux religions séculières.

Il est clair cependant que les messianismes politiques, les millénarismes sociaux, prolongent l'illusion religieuse, et même l'aggravent, puisqu'ils n'ont pas le correctif de l'au-delà, puisque la perfection sera rendue immanente : le « grand soir » aussi est un « jour de Dieu ». Quant à l'effervescence de la jeunesse actuelle, nul n'ignore qu'elle rejoue apocalypse et parousie, qu'elle voit poindre sur les nuées un seigneur de gloire. Une société parfaite, un ordre pur, une vie en commun qui ne contraint ni ne réprime, les catéchismes ont un mot pour désigner ce havre de paix, cette harmonie-jardin. Il est temps peut-être que des socialismes de maturité s'entraînent à gauchir autre chose que l'uchronie des religions.

Il est vrai aussi que l'illusion religieuse une fois démasquée, l'illusion de la critique pourrait être de penser que la religion est liquidée. Il faudrait pour cela que l'illusion religieuse fût toute la religion, qu'elle n'atteignît que les religions, que la recherche de l'objet absolu absorbât tous les soins de toutes les religions et qu'aucune religion n'eût le courage de dénoncer sa propre illusion, puis de survivre à sa désillusion. Cette hypothèse peut être faite. Mais l'hypothèse inverse peut l'être aussi.

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Écrit par

  • : professeur de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre

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