RELIGION Religion et idéologie
L'ironie des religions
On a toujours compté au bénéfice du bouddhisme une capacité de « déconstruire » les ruses du désir, de déjouer les stratagèmes de l'adhérence. De même, on a fréquemment souligné que le mordant du judéo-christianisme réside dans le mosaïsme de l'irreprésentable, dans la dérision du dieu pendu, du sauveur qui ne se sauve pas. Un absolu sans visage, une divinité suppliciée, déshonorée, sont en religion la suprême ironie ; ils défont la religion qu'ils font, ils ne l'établissent que par concession, puisque la religion de l'ineffable et de l'opprobre représente quand même, édifie quand même.
Ni le judaïsme ni le christianisme ne sont des formations homogènes. Surgis comme mythes d'action, ils se sont adjoint des mythes de représentation, des vérités de spéculation et des vérités d'appareil. Si le mythe du dieu-volonté, de l'absolu qui se révèle exclusivement dans le vouloir de ses témoins, dans l'histoire de leur fraternité et de leurs luttes, qui ne se révèle ni dans la nature, ni dans l'imagerie humaine, et qui n'est jamais dévoilé, puisque l'histoire ne s'achève pas, ni capté, maîtrisé, puisque l'acquis suivant refond, corrige ou modifie l'acquis précédent, si ce mythe intervenait comme réducteur de tout autre mythe, il ne serait pas d'illusion, mais d'incitation, de provocation à l'engagement complet et au désintéressement total.
Plus simplement, si la vigueur symbolique des religions l'emportait sur les demi-rationalisations de leurs doctrines, elles renoueraient le dialogue interrompu : celui des signes qui aidèrent l'homme à se redresser, à diriger ses regards vers le ciel. Car les symboles, même les plus chargés, les plus raturés, sont finalement ce qu'il y a de moins vulnérable dans le code des religions. Ce ciel des morphologies sacrées, ce ciel topographié, iconographié, a été un puissant alibi de la terre. Mais son premier indicatif est d'altitude, de fierté et d'ouverture. Il ne représente pas, il effectue : il opère la verticalité de l'homme, il met en œuvre sa profondeur. S'il symbolise, non l'ordre, non le parfait et ses attributs, mais l'inconditionné, il ne ravit ni ne pèse : il libère.
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Écrit par
- Henry DUMÉRY : professeur de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre
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