RELIGION Religion et psychanalyse
Les apports de l'interprétation freudienne
Le jugement de valeur que Freud porte sur la religion est à la mesure de l'ambivalence qu'elle représente dans se reconstitution analytico-historique : la religion juive réalise la plus haute spiritualité culturelle et ses prophètes sont de grandes figures paternelles ; mais elle demeure prisonnière du complexe œdipien non résolu et, pour cette raison, elle culpabilise, rend passif (féminin) et servile envers le Dieu-Père.
Les objections que l'on a pu faire à l'interprétation de la religion, selon Totem et Tabou et Moïse et le monothéisme, sont d'ordre historique et d'ordre proprement psychanalytique. D'une part, cette interprétation s'appuie sur nombre de conceptions de l'ethnologie, de l'histoire des religions et de l'exégèse biblique qui se révèlent fausses eu égard à l'état actuel de ces sciences. Voulant interpréter la religion comme une nécessaire névrose de la civilisation en train de se constituer, Freud devait proposer un schéma évolutionniste de l'histoire qui transpose dans la culture le modèle de l'évolution d'une névrose obsessionnelle individuelle. D'autre part, en prenant ses analogies dans la pathologie, Freud assimile souvent très rapidement des phénomènes culturels à des données proprement inconscientes. De plus, souvent il présuppose implicitement comme donné ce qui, d'après lui, serait le produit d'un processus historique (ainsi la loi du père est à la fois posée comme résultat du refoulement et comme son origine). Enfin, Freud ne tient aucun compte de certaines données essentielles aux témoignages religieux qui n'entrent pas dans sa construction : la perception symbolique et religieuse du monde, le langage de célébration, la doctrine de la Révélation du Père par le Fils, etc.
Les apports de cette interprétation sont néanmoins importants. En premier lieu, Freud a désigné les structures psychiques engagées dans la mystique et dans la religion, particulièrement dans la religion judéo-chrétienne : tendance à l'union en deçà du « je », nostalgie du père, rapports au père similaires à ceux du complexe d'Œdipe. Cet enracinement psychique de la religion se vérifie dans la psychanalyse et s'y manifeste comme la source possible des comportements et des croyances proprement pathologiques (fausse mystique, religiosité obsessionnelle, etc.). Les lois psychologiques dégagées par Freud sont également repérables au niveau de l'observation, même si l'inconscient n'y est pas directement vérifiable. La psychologie de la religion se trouve ainsi dotée de principes d'interprétation et d'organisation. En second lieu, Freud a démontré l'existence d'un lien entre les types de civilisation, et donc de religion, et la réalité psychique.
On est obligé cependant de limiter la compétence de la psychanalyse freudienne : elle n'explique pas la religion comme telle. Le signifiant du père par exemple, qui est le pivot du judéo-christianisme, ne résulte pas d'une psychogenèse, pas plus que l'esthétique comme telle ne s'explique, de l'aveu de Freud, par la psychanalyse. L'interprétation psychanalytique de la religion devrait d'ailleurs recourir à d'importantes données théoriques éparses dans l'œuvre de Freud, et que lui-même n'a pas reprises dans sa construction interprétative. Signalons notamment sa reformulation de la libido comme Éros, puissance d'union et de liaison qui utilise même la culpabilité pour la victoire de la vie sur la mort. Elle laisse entrevoir un élément plus positif dans la formation de la civilisation et de la religion que celui du refoulement et du déplacement résultant du complexe d'Œdipe.
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Écrit par
- Antoine VERGOTE : professeur à l'université de Louvain (Katholieke Universiteit Leuven et université catholique de Louvain-la-Neuve)
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