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RELIRE RUSKIN (ouvrage collectif)

C'est un Ruskin démultiplié que l'on découvre dans cet ouvrage collectif. Prenant place dans la collection « Principes et théories de l'histoire de l'art », publiée par le musée du Louvre et l'École nationale supérieure des beaux-arts, Relire Ruskin (2003) vient compléter la série de conférences et colloques consacrés aux historiens et critiques d'art les plus fameux. Suivant Heinrich Wölfflin, Jacob Burckhardt, Henri Focillon et Hippolyte Taine, précédant Erwin Panofsky et Aby Warburg, ce Ruskin s'adresse à tous ceux qui veulent disposer d'un guide dans l'œuvre de l'auteur anglais qui soit, plutôt qu'une synthèse, une suite d'essais critiques.

John Ruskin (1819-1900) est un des historiens et critiques d'art les plus importants du xixe siècle. Admirateur de Turner, qu'il défend dans ses Peintres modernes (1843), proche des préraphaélites, Ruskin développe, dans Les Sept Lampes de l'architecture (1849) et dans Les Pierres de Venise (1851-1853), une réflexion profondément originale sur la nature de l'architecture. Ne concevant pas le monument hors de son rôle mémorial, il développe une théorie anti-interventionniste en matière de restauration, au moment même où se mettent en place les législations sur la protection des monuments historiques et les premières réflexions théoriques sur leur restauration. Grand défenseur de l'architecture gothique et de l'artisanat, il cherche par ailleurs à prolonger ses engagements critiques dans une réflexion sur la société et l'action politique. The Guild of St George, œuvre de bienfaisance qu'il crée en 1871, a pour ambition d'assurer « santé, prospérité et longue vie à la nation britannique ».

Justement, c'est de ce Ruskin déjà consacré par l'histoire de l'art que les essais réunis viennent enrichir et nuancer la présentation. Sa conception de l'œil, tout d'abord, est examinée dans toutes ses tensions, ses contradictions, par Pascal Griener. S'insurgeant contre le goût dominant, en matière d'art ancien, qui fait de Nicolas Poussin et Claude Lorrain les peintres les plus célébrés, Ruskin défend Turner parce que ce dernier a, selon lui, considéré la nature non comme une somme de détails, mais comme un système global. Cette idée très romantique du « moins d'homme possible », se bornant à donner une transcription pure des paysages naturels, entre en contradiction avec le rôle que Ruskin assigne en même temps à l'artiste : celui d'un prophète. De même, très sensible au pouvoir transitif de la peinture vénitienne – celui d'exprimer une civilisation tout entière –, Ruskin se fait le théoricien d'une focalisation de l'œil sur l'œuvre d'art, qui l'abstrait de son environnement physique. Exigeant une ségrégation théorique ou physique de l'œuvre, condition de la méditation, l'esthétique ruskinienne est en même temps, comme le note Griener, une méditation sur la perte de l'articulation de l'œuvre avec son milieu originel. Cela en fait une pensée de la perception de l'art à l'âge industriel, qui tour à tour refuse la modernité et pactise avec elle.

Autre question qui traverse deux des essais dans l'ouvrage : celle du travail. Comme le montre Richard Wollheim, elle sous-tend la « deuxième esthétique » de Ruskin. Alors que la première, celle des Peintres modernes, faisait appel à la notion, liée au psychisme, de l'expression, la deuxième esthétique, à l'œuvre dans Les Sept Lampes de l'architecture et Les Pierres de Venise, est liée au corps. C'est alors le travail qui permet d'atteindre la vérité quant au matériau. Et pour que le travail maintienne l'artiste dans cette voie, il doit engager le corps et l'âme de l'individu : non pas simplement ses doigts[...]

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Écrit par

  • : ancien pensionnaire à l'Institut national d'histoire de l'art, chargé de cours à l'École du Louvre

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