REMBRANDT (1606-1669)
Motifs, styles et techniques : un expérimentateur infatigable
En 1666, l'abbé-collectionneur Michel de Marolles vend à Louis XIV ses deux cent vingt-quatre eaux-fortes de Rembrandt, qu'il venait de recenser dans un ouvrage, et, en 1751, c'est le marchand parisien Gersaint qui en fournit aux amateurs un catalogue critique. De 1626 à 1660 environ, Rembrandt a produit quelque deux cent quatre-vingt-dix estampes jugées aujourd'hui autographes, pour lesquelles un tiers des cuivres sont conservés, sur les sujets les plus divers et d'une façon autonome et parallèle à son œuvre peint. Après les premiers essais leydois, souvent qualifiés de « griffonis » : autoportraits expressifs jusqu'à la caricature, tronjes, gueux à la manière de Jacques Callot, sujets religieux, les années 1630 voient l'apparition de planches ayant exigé un travail considérable par leur fini, leur rendu des textures et des moindres caprices de la lumière : la Descente de croix de 1633 reproduisant le tableau peint pour le stathouder, l'Annonce aux bergers (1634), l'Ecce Homo de 1636. Les paysages apparaissent dans les années 1640 (vues de chaumières et de bouquets d'arbres essentiellement), tandis que les nus féminins réalistes, les portraits (pasteurs, rabbins, commerçants, artistes et magistrats), les sujets bibliques souvent récurrents s'étalent au long de sa carrière. Dans les années 1650, les planches ont le même caractère d' ébauches que ses toiles : fortement charpentées mais parsemées de trous d'ombre oblitérant des motifs préalablement tracés, de violentes stries, de figures sommairement esquissées, sans modelé, où éclate le blanc du papier. Cette liberté suggestive est particulièrement réussie dans le Saint Jérôme dans un paysage italien (vers 1654). Rembrandt a utilisé des plaques de cuivre minces, plus faciles à marteler pour opérer des changements, un vernis mou mêlé de cire, opacifié de blanc, pour y dessiner sa composition sans effort, un mordant lent pour mieux contrôler les effets de pleins et de déliés, des encres grises ou noires pour suggérer l'atmosphère, des papiers de types divers, plus ou moins absorbants, pour varier les contrastes de valeur : blanc luisant, gris moucheté, jaunâtre (papier japonais), voire du vélin pour des impressions de luxe. Ses eaux-fortes furent assez tôt complétées par un travail au burin et, surtout dans les années 1650, à la pointe sèche, au tracé irrégulier en raison des barbes laissées sur les bords de la taille. Les différences entre les états successifs d'une même composition sont souvent spectaculaires, comme pour Les Trois Croix de 1653 ou Le Christ présenté au peuple de 1655.
En tant que dessinateur, Rembrandt a fait preuve également d'une grande fécondité, même s'il ne fut pas le dessinateur acharné que Bode voyait en lui et qu'on tend à restituer à ses élèves de nombreuses feuilles attribuées autrefois par analogie. Les dessins de Rembrandt ne sont que très rarement des études préparatoires pour ses peintures ou ses gravures ; lorsqu'ils s'en rapprochent, ils se présentent souvent comme des variantes ou des alternatives. Le dessin est pour lui un exercice : d'observation, comme pour ses paysages au lavis d'encre ou une série de Lions, gravés plus tard par Bernard Picart ; de notation rapide, comme pour les cent trente-cinq esquisses de femmes et d'enfants que possédait son ami le peintre mariniste Jan Van de Cappelle, aujourd'hui dispersées ; de copie, comme l'ensemble de dessins reprenant des miniatures mogholes (vingt retrouvés) ; de mise en scène, comme pour la centaine de scènes de la Passion du Christ esquissées dans les années 1650-1655. Dans son atelier, Rembrandt participa lui-même aux exercices qu'il proposait à ses élèves : dessins d'académies d'hommes[...]
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Écrit par
- Martine VASSELIN : ancienne élève de l'École normale supérieure de Sèvres, maître de conférences en histoire de l'art des Temps modernes à l'université de Provence
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