REMBRANDT (1606-1669)
La fable et la Bible : un narrateur non conformiste
Ce qui fait la grandeur de Rembrandt peintre d'histoire n'est ni l'originalité de ses thèmes bibliques ou de leurs particularités iconographiques qui sont tous empruntés à des devanciers nordiques, peintres ou graveurs, parmi lesquels son maître Lastman, ni même l'abondance de ses peintures religieuses (Lastman en a peint davantage), mais leur force de conviction et leur capacité à émouvoir. Dans l'une des sept lettres de lui que nous avons conservées, adressées à Constantijn Huygens, Rembrandt indique qu'il a recherché longuement, en élaborant les tableaux pour le stathouder, « l'émotion la plus grande et la plus naturelle possible ». Rembrandt n'a peut-être jamais lu la Bible entière, mais est revenu fréquemment sur les mêmes scènes et sur des personnages favoris (David, Salomon, Samson, Tobie), proposant de nouvelles mises en scène. Il place, à ses débuts, des personnages de petite échelle dans un espace solennel, comme les édifices caverneux de la Résurrection de Lazare (vers 1630, Los Angeles County Museum) ou du Prophète Jérémie (1630, Rijksmuseum, Amsterdam, aux multiples figurines fuyant à l'arrière-plan). Plus tard, il supprimera ces références spatiales, réduisant le tableau à l'affleurement de personnages monumentaux : Moïse brandissant les tables de la Loi (1659, Gemäldegalerie, Berlin), Saint Matthieu et l'ange (1661, Louvre). Les histoires peintes par Rembrandt semblent solliciter l'œil et l'esprit, qui cherchent à déchiffrer – comme les personnages dans le Festin de Balthasar, les caractères mystérieux apparus sur la paroi (vers 1635, National Gallery, Londres) – des visages dissimulant la haine : David jouant de la harpe devant Saül (vers 1629, Städelsches Kunstinstitut, Francfort). Mais aussi l'ouïe : Saint Pierre et saint Paul en conversation (1628, National Gallery of Victoria, Melbourne) ou le toucher : la main d'Aristote contemplant le buste d'Homère, peint pour Antonio Ruffo, gentilhomme de Messine en 1653 (Metropolitan Museum, New York), Jacob bénissant les fils de Joseph (1656, Gemäldegalerie, Kassel). Ces figures bibliques sont peut-être à interpréter, à la lumière des recherches sur l'imaginaire des contemporains de Rembrandt qu'expose Simon Schama dans L'Embarras de richesses. La culture hollandaise au siècle d'or (Gallimard, 1990), moins pour leur sens religieux premier que comme des références analogiques prestigieuses à des personnages et à des événements de l'histoire récente des Pays-Bas du Nord. Dans les tableaux de Rembrandt qui traitent de l'histoire d'Esther, il faudrait voir, comme dans quatre tragédies néerlandaises écrites entre 1618 et 1659 portant sur ce thème, en Aman le duc d'Albe, incarnation de la méchanceté calculée d'un conseiller assoiffé de sang, et en Mardochée Guillaume d'Orange, l'innocent patriote et héros. Les sujets dans lesquels Rembrandt se montre le plus nettement hostile aux conventions rhétoriques de l'art italien ou du baroque rubénien sont assurément les thèmes mythologiques. Le choix de sujets violents ou scabreux, le refus des transpositions antiquisantes (le chantier naval à l'arrière-plan de L'Enlèvement d'Europe, vers 1633, coll. part.), de l'ennoblissement allégorique des fables (L'Enlèvement de Ganymède, bébé pleurant et pissant d'effroi, 1635, Gemäldegalerie, Dresde), de l'idéalisation des corps (Diane au bain, au ventre flasque, eau-forte, vers 1631), ou d'une gestuelle esthétique mais sans vraisemblance (L'Enlèvement de Proserpine, qui griffe sauvagement le visage de Pluton, 1631, Gemäldegalerie, Berlin) font la saveur incongrue de ses essais dans ce domaine. Mais la question la plus délicate pour interpréter le sens de mainte[...]
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Écrit par
- Martine VASSELIN : ancienne élève de l'École normale supérieure de Sèvres, maître de conférences en histoire de l'art des Temps modernes à l'université de Provence
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