REMBRANDT (1606-1669)
Rembrandt au miroir changeant des siècles
Vers la fin du xviie et au xviiie siècle, les critiques émettent de sérieuses réserves sur Rembrandt. Sur la toile de fond de la théorie classique de l'art, attachée à la hiérarchie des genres, au décorum et à la recherche d'un beau idéal, obtenu par un dessin parfait, à l'école des antiques, il ne pouvait faire figure que d'ignorant, de maladroit, de fourvoyé ou d'obstiné, et son talent de coloriste apparaît comme gâché au service de sujets vils et de personnages laids : telle est la position de Houbraken ou de Gersaint. André Félibien (Entretiens, 1679) et Gersaint opposent à la manière « léchée » de ses contemporains la « singularité » de ses « grands coups de pinceau », de ses « couleurs fort épaisses », remarquant que ses portraits font un fort effet, de relief et de vérité, « lorsqu'on les regarde d'une distance proportionnée ». Ses gravures « piquantes », « source inépuisable d'intelligence du clair-obscur, partie dans laquelle il est si difficile de réussir », connaissent le même succès que ses portraits et têtes de caractère, et circulent sur le marché de l'art européen. Cette dispersion, sans documents ni descriptions précises, a pesé lourd sur la connaissance ultérieure de l'œuvre de Rembrandt. Au xixe siècle, si un Ruskin n'a pas assez de mépris : « la vulgarité, la bassesse ou l'impiété s'exprimeront toujours dans l'art par le moyen du brun et du gris comme chez Rembrandt », le romantisme avec son enthousiasme pour les individualités hors des normes a entraîné une réhabilitation de la vision singulière du maître. Le marchand d'art anglais John Smith édite en 1836 le premier catalogue d'ensemble de son œuvre peint, comportant environ six cent quarante numéros. Ce corpus s'enflera jusqu'à un millier de peintures, à la fin du siècle. Rembrandt fut tour à tour enrôlé comme champion du protestantisme, de la liberté républicaine, du christianisme populaire, du patriotisme hollandais. W. Martin écrit en 1936 : « Rembrandt reflète essentiellement ce que notre peuple a de meilleur : de profondes convictions religieuses, une conscience et un esprit de liberté, un besoin d'agir insatiable et indomptable. » Le xxe siècle a opéré un patient travail de discrimination raisonnée des œuvres, accompagné d'une exploration et publication systématique des documents d'archives concernant le peintre, sa famille et sa clientèle. Parallèlement, la méthode iconologique examinait les thèmes et leur sens précis dans le milieu où vécut Rembrandt, tandis que les études sur ses élèves offraient des alternatives d'attribution aux œuvres rejetées. L'examen scientifique des œuvres et leur minutieuse description matérielle par le Rembrandt Research Project (« Nous nous méfions profondément de l'évocation poétique des qualités rembranesques »), leur confrontation systématique des points de vue de divers experts ont pour but d'établir collégialement un corpus (en cours de publication) reflétant un large consensus étayé par des informations objectives et des comparaisons techniques et stylistiques.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Martine VASSELIN : ancienne élève de l'École normale supérieure de Sèvres, maître de conférences en histoire de l'art des Temps modernes à l'université de Provence
Classification
Médias
Autres références
-
AUTOPORTRAIT EN ORIENTAL (Rembrandt)
- Écrit par Barthélémy JOBERT
- 281 mots
- 1 média
Rembrandt (1606-1669) est, dans l'histoire de la peinture occidentale, l'artiste qui s'est le plus représenté. Comme beaucoup de peintres, il s'est figuré dans des scènes religieuses ou historiques (son premier autoportrait daté est de 1626), et il continuera un certain temps dans cette veine, ainsi...
-
AUTOPORTRAITS DE REMBRANDT - (repères chronologiques)
- Écrit par Barthélémy JOBERT
- 445 mots
1606 Naissance de Rembrandt.
1626 Rembrandt se peint dans un Tableau d'histoire (La Clémence de Charles Quint ?) Stedelijk Museum De Lakenhal, Leyde).
1627-1630 Autoportraits peints, dessinés ou gravés centrés sur l'expression du visage (tronie).
1631 Autoportrait en costume oriental...
-
REMBRANDT ET SON ÉCOLE (exposition)
- Écrit par Barthélémy JOBERT
- 893 mots
Depuis plusieurs années, le musée des Beaux-Arts de Dijon a développé une collaboration exemplaire avec les pays de l'Europe de l'Est, faisant ainsi connaître en France des artistes ou des mouvements oubliés ou négligés, mais aussi des fonds restés longtemps ignorés, jusqu'à la disparition du rideau...
-
ART & SCIENCES
- Écrit par Jean-Pierre MOHEN
- 6 165 mots
- 3 médias
...L'authentification consiste à définir la cohérence de chaque élément de l'œuvre. Le Metropolitan Museum de New York a révisé dans cette optique ses tableaux de Rembrandt. Grâce à une autoradiographie – par laquelle on étudie la répartition des différents matériaux de la couche picturale en les activant par une... -
AUTOPORTRAIT, peinture
- Écrit par Robert FOHR
- 3 573 mots
- 6 médias
...et morale le sujet même du tableau. Les tenants de la psychanalyse allégueront, pour rendre compte d'une telle démarche, le narcissisme inquiet d'un Rembrandt dont les quelque cinquante-cinq autoportraits peints (sans compter les dessins et les gravures) constituent un fascinant « journal intime »,... -
DOU GÉRARD (1613-1675)
- Écrit par Jacques FOUCART
- 918 mots
Fils d'un peintre verrier, Gérard (Gerrit en néerlandais) Dou fit ses premières armes dans cette spécialité, et ce n'est qu'en 1628 qu'il passe à la peinture proprement dite, en entrant dans l'atelier de Rembrandt. Il en reste l'élève jusqu'au départ de ce dernier...
-
ELSHEIMER ADAM (1578-1610)
- Écrit par Jacques FOUCART
- 1 330 mots
- 1 média
Le plus célèbre des peintres allemands du xviie siècle. Adam Elsheimer est, à vrai dire, un artiste dont le retentissement exceptionnel eut des dimensions supranationales. Par son langage du clair-obscur et la perfection de ses petits tableaux, il a avec Caravage (carrière fulgurante...
- Afficher les 15 références