Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

GOURMONT REMY DE (1858-1915)

S'il fut un esprit attentif jusqu'à la passion au « paysage littéraire » (l'expression est de lui) de son temps, c'est bien Remy de Gourmont pour qui « la littérature est peut-être avec la religion la passion abstraite qui secoue le plus violemment les hommes ». En plein essor de la « littérature industrielle », Gourmont choisit son camp, celui du petit nombre de ceux qui, en cette fin du xixe siècle, oscillèrent entre la religion et l'art : stylites et stylistes capables de dissocier de l'« art Ripolin » et de l'« art social » l'idée d'un « art pur qui se soucie uniquement de se réaliser soi-même » (La Culture des idées). Le meilleur de Gourmont tient à cette conception tout à la fois « idéaliste », individualiste et anarchiste de l'art (« L'art est libre de toute la liberté de la conscience ») qu'il a développée dans plusieurs essais : L'Idéalisme (1893), La Culture des idées (1900), Le Problème du style (1902). C'est dans Le Livre des masques (1896) et Le Deuxième Livre des masques (1898) que cet antinaturaliste militant dresse l'inventaire de sa famille spirituelle et littéraire, qui comprend toutes les figures illustres et méconnues du symbolisme, jusqu'à Gide, Fénéon et Schwob.

Dès 1892, la position unique qui fut la sienne dans son siècle, il l'occupe rétrospectivement dans la littérature mystique de langue latine qui va du iiie au xive siècle et qui est l'œuvre de ces barbares et décadents désormais obscurs, et dont les troubles homélies contre la chair excitent ses propres « rêves contradictoires ». Agrandissement érudit du fameux chapitre iii d'À rebours (1884), Le Latin mystique, les poètes de l'antiphonaire et la symbolique au Moyen Âge (1892), préfacé par Huysmans, est aussi pour Gourmont une façon d'aveu.

Deux ans plus tôt, la publication de Sixtine, roman de la vie cérébrale (1890) marque la naissance d'un pré-Teste attaché à réduire méthodiquement le sum au cogito, et, en bon lecteur de Schopenhauer, le monde à sa représentation : « Quel spectacle vaut celui du cerveau humain ? » Mais la femme gourmontienne ne suit pas les préceptes de cet « idéalisme subjectif » ni de cette « perpétuelle cérébration » : Sixtine se donne à celui qui la prend, et non à cet indécis qui poursuit en elle un fantôme.

Employé à la Bibliothèque nationale, dont il fut renvoyé à la suite de la publication du Joujou patriotisme (1891), Gourmont avait fondé avec Alfred Vallette, Louis Dumur et Jules Renard Le Mercure de France (1889), où il publia toute son œuvre. Esprit monacal, il trouvera ensuite dans un lupus tuberculeux qui lui dévore le visage l'occasion d'un extrême repliement laborieux, tout juste rompu par deux femmes : Berthe de Courrière, qui lui inspire Sixtine, et, en 1910, Natalie Clifford Barney, destinataire des Lettres intimes à l'Amazone (publiées en 1926).

Avec les contes et romans de la première partie de son œuvre : Histoires magiques (1894), Le Pèlerin du silence (1896), Les Chevaux de Diomède (1897), D'un pays lointain (1898), Gourmont maîtrise, dans une perspective encore symboliste, « la dualité antique de l'âme et du corps ». La métaphore mystique transpose le fantasme érotique et le sauve, dans des béatitudes d'« érotisme cérébral », des horreurs de la pulsion. Avec Physique de l'amour, essai sur l'instinct sexuel (1903), il semble en revanche que, sous l'influence de Darwin, Gourmont ait tenté de s'arracher, par un effort de dissociation naturaliste et scientiste, au dualisme idéaliste de sa première période : « l'amour est profondément animal ». Les romans de la seconde période : Le Songe d'une femme (1899), Une nuit au Luxembourg (1905), Un cœur virginal (1907) font la part belle[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, écrivain

Classification

Autres références

  • FRANCE (Arts et culture) - La langue française

    • Écrit par , , et
    • 15 699 mots
    • 2 médias
    ...définir d'abord le sens des mots inscrits en tête de certains chapitres comme celui-ci. Qu'est-ce donc à dire que l'« esthétique de la langue française » ? Remy de Gourmont nous offre la bonne fortune d'un précédent en donnant une préface au livre si captivant et si moderne d'allure qu'il composa naguère...
  • LAFORGUE JULES (1860-1887)

    • Écrit par
    • 982 mots
    ...naturelle – lui fit endosser cet habit d'Arlequin qui lui seyait à merveille. On n'y vit d'abord que l'affectation. Déjà, en 1896, dans le Livre des masques, Remy de Gourmont écrivait : « Il avait trop froid au cœur ; il s'en est allé » et parlait de sa « glaciale affectation de naïveté ». Il est vrai qu'il...
  • LAUTRÉAMONT ISIDORE DUCASSE dit COMTE DE (1846-1870)

    • Écrit par
    • 3 187 mots
    ...vivre alors d'une nouvelle vie, d'autant que Léon Genonceaux les réédite en 1890. Les Poésies ne bénéficieront certes pas de la même chance, bien que Remy de Gourmont les signale dès 1891 dans Le Mercure de France et que Valery Larbaud dans La Phalange du 20 février 1914 en analyse la portée. Aragon...
  • LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE

    • Écrit par
    • 6 810 mots
    • 1 média
    ...pas entièrement, font un large usage. Mais on a plutôt affaire ici à une survivance. De meilleurs atouts résident dans des propositions formelles neuves. Le Songe d'une femme de Remy de Gourmont offrait déjà, à la fin d'un récit par lettres, le passage à un roman par télégrammes ; mais ce type de messages...