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RENAISSANCE DE HARLEM

Le patrimoine noir et la culture américaine

L'apparition de l'intérêt pour le patrimoine noir coïncida avec les efforts visant à définir une culture américaine distincte de celle de l'Europe, et qui serait caractérisée à la fois par un pluralisme ethnique et par une philosophie démocratique. Le concept de pluralisme culturel (terme forgé par le philosophe Horace Kallen en 1915) inspira une idée neuve selon laquelle les États-Unis constitueraient un nouveau type de nation, où diverses cultures devraient s'épanouir côte à côte en harmonie plutôt que de se fondre en une seule ou de se placer sur une échelle de « civilisation » en perpétuelle évolution. W. E. B. Du Bois avait défendu une position similaire dans son ouvrage The Souls of Black Folk (1903, Âmes noires), texte fondamental du mouvement du « nouveau Nègre » en raison de sa résonance profonde auprès de la génération qui allait constituer le cœur de la Renaissance de Harlem. Tandis que diverses formes de pensée culturelle pluraliste s'imposaient, un terreau fertile propice à l'épanouissement des arts noirs américains apparaissait. Les efforts que déployèrent certains intellectuels américains pour distinguer la littérature et la culture nationales des formes européennes concordèrent par ailleurs avec les convictions que l'élite noire américaine nourrissait à l'égard de son rapport avec l'identité nationale américaine.

W. E. B. Du Bois et son confrère de la N.A.A.C.P. James Weldon Johnson affirmaient que les seules traditions d'expression exclusivement américaines existant aux États-Unis étaient venues des Noirs Américains. Plus que tout autre groupe, ceux-ci avaient en effet été contraints de se reconstruire dans le Nouveau Monde, expliquaient-ils, tandis que les Blancs continuaient de tourner leur regard vers l'Europe ou de sacrifier les valeurs artistiques aux principes commerciaux. Quant aux cultures amérindiennes, elles semblaient selon eux en voie de disparition. La lutte que les Noirs Américains menaient depuis des siècles pour obtenir leur liberté les avait convertis en prophètes de la démocratie et en avant-garde artistique de la culture américaine.

Cette conception commença soudainement à se répandre lorsque la musique noire américaine, en particulier le blues et le jazz, s'imposa dans le monde entier. La musique noire donna ainsi son élan à la Renaissance de Harlem. L'essor des race records (disques destinés à un public noir), qui démarra avec l'enregistrement du Crazy Blues de Mamie Smith par le label Okeh en 1920, fit découvrir le blues à un public qui ignorait auparavant cette forme de musique. Mamie Smith, Alberta Hunter, Clara Smith, Bessie Smith et Ma Rainey – qui se produisaient depuis des années dans des cirques, des clubs et de petits spectacles – accédèrent alors rapidement à la célébrité. Cette musique, aux paroles souvent ironiques et grivoises, exprime les désirs et les perspectives philosophiques de la classe ouvrière noire. Les écrivains noirs tels que Langston Hughes, Sterling Brown et Jean Toomer voyaient dans le blues une forme artistique consubstantielle à la population la plus opprimée du pays, un équivalent profane des negro spirituals et un antidote au mouvement noir bourgeois prônant l'assimilation.

Lorsque le blues migra dans les villes du Nord telles que Chicago et New York durant la Première Guerre mondiale et l'après-guerre, il donna naissance au jazz. Dans les années 1920, les orchestres de jazz prirent de l'ampleur, intégrèrent de nouveaux instruments et diversifièrent leurs pratiques de jeu. Louis Armstrong devint par exemple le premier grand soliste de jazz quand il quitta le Creole Jazz Band de King Oliver à Chicago pour rejoindre la formation new-yorkaise de Fletcher Henderson en 1924. Cette dernière fut bientôt concurrencée par les[...]

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Écrit par

  • : professeur de littérature à l'université de l'Indiana à Bloomington
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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  • ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - La littérature

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