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RENAISSANCE DE HARLEM

La question de l'« art nègre »

La fascination internationale pour le jazz, ses liens avec la vie quotidienne noire et la virtuosité exceptionnelle de ses musiciens encouragèrent les intellectuels noirs relevant d'autres domaines à se tourner de plus en plus vers des formes esthétiques spécifiquement « nègres » afin d'y trouver l'innovation et une nouvelle expression de soi. Cette tendance apparut dans les concerts, les chorales et les revues musicales de Broadway ainsi que dans la littérature. Le spectacle Shuffle Along, créé à Broadway en 1921 par le musicien Eubie Blake et le chanteur Noble Sissle, établit un modèle qui allait façonner les comédies musicales noires pendant soixante ans. Florence Mills, danseuse espiègle et chanteuse exceptionnelle, accéda à une renommée assez forte pour dépasser les clivages raciaux, aux États-Unis comme en Europe, avant de succomber à une crise d'appendicite en 1927. Joséphine Baker, qui débuta comme choriste dans une revue populaire, devint une star internationale quand la Revue nègre fut présentée en 1925 au théâtre des Champs-Élysées à Paris ; une fois célèbre, elle finit par s'installer dans la capitale française et jouera une grande variété de rôles « exotiques » exploitant le pouvoir de séduction des peuples « primitifs ». Les revues et les vaudevilles populaires ramenèrent dans les villes du circuit de la Theatre Owners Booking Association (association de propriétaires de théâtres, en fonction principalement dans le Sud) un public intégralement noir, venu des quatre coins des États-Unis. Dans les années 1920, les spectacles produits par des Noirs se multiplièrent à Broadway, tandis que de nombreux numéros produits par des Blancs faisaient monter des Noirs sur scène. Le succès de ces spectacles contribua à alimenter l'optimisme de la Renaissance de Harlem. Face à la dégradation de la situation socio-économique dans le quartier de Harlem proprement dit et aux revers politiques subis dans une période très conservatrice et raciste – ce fut dans les années 1920 que le Ku Klux Klan atteignit son apogée, tant en termes de nombre de membres que d'influence politique dans le Sud et le Middle West –, certains leaders noirs espéraient que les avancées réalisées dans le domaine artistique permettraient de révolutionner les relations raciales tout en favorisant chez les Noirs l'apparition du sentiment d'appartenance à un peuple.

D'importantes nouvelles maisons d'édition ouvrirent leurs portes à des auteurs noirs. Ces éditeurs – en particulier Alfred A. Knopf, Harcourt Brace et Boni and Liveright – rompaient avec une certaine tradition littéraire britannique. Ils faisaient paraître des traductions d'œuvres modernistes provenant de divers pays, jamais lues jusqu'alors aux États-Unis, si ce n'est par des émigrés accédant à ces textes dans leur langue maternelle. Séduits également par le concept de pluralisme culturel américain – tantôt influencés par une pensée de gauche, tantôt impliqués dans la lutte pour les droits civiques des Noirs – et conscients de la vogue du primitivisme, ils comprirent qu'il existait un marché pour les livres d'auteurs noirs portant sur des sujets « nègres ». Leur intérêt se trouva renforcé par les efforts que déployèrent les éditeurs de magazines noirs américains pour organiser des concours littéraires et divers autres événements mettant en avant les talents noirs. La manifestation la plus connue de ce type fut un banquet donné en 1924 au Civic Club libéral du centre-ville new-yorkais, à l'initiative de Charles S. Johnson, éditeur d'Opportunity. Cette soirée annonça ce qui commençait à ressembler à un « mouvement » – une cohorte d'auteurs noirs américains talentueux désireux de se faire remarquer. La conséquence ultime de cette démarche survint[...]

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Écrit par

  • : professeur de littérature à l'université de l'Indiana à Bloomington
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Autres références

  • ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - La littérature

    • Écrit par , , , , , , et
    • 40 118 mots
    • 25 médias
    Dans les années 1920, la Renaissance de Harlem, inaugurée avec le manifeste The New Negro (1925) d’Alain Locke, proclame une fierté raciale qui se tourne vers l’Afrique dans un élan teinté de primitivisme. Son texte le plus éclatant est le chef-d’œuvre moderniste Canne (Cane, 1924) de Jean...
  • HUGHES LANGSTON (1902-1967)

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    Née le 7 janvier 1891 à Notasulga, en Alabama, Zora Neale Hurston prétend avoir vu le jour dix ans plus tard à Eatonville, en Floride. Sa famille...

  • LOCKE ALAIN LEROY (1885-1954)

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