RENAISSANCE DE HARLEM
La fiction
Les œuvres de fiction produites par les auteurs de la Renaissance de Harlem se distinguent par leur focalisation sur la vie contemporaine et par leur goût des formes instables – en d'autres termes par leur modernité. Devancés par des précurseurs tels que James Weldon Johnson dans The Autobiography of an Ex-Colored Man (« Autobiographie d'un ci-devant homme de couleur », publié anonymement en 1912, réédité sous son nom en 1927) et W. E. B. Du Bois dans The Quest of the Silver Fleece (1911, « La Quête de la toison d'argent »), les romanciers explorèrent la diversité de l'expérience noire à travers les classes sociales, les races et les genres tout en contestant, de façon implicite ou explicite, le racisme que subissaient les Noirs. Dans There Is Confusion (1924), Jessie Redmon Fauset aborde ainsi la transformation de la culture de masse inaugurée par la nouvelle classe moyenne noire et par les arts créatifs noirs. Utilisant les conventions du roman de mœurs, elle mettait en avant les thèmes de l'édification raciale, du patriotisme, de l'optimisme face à l'avenir et de la solidarité noire. Avec The Fire in the Flint (1924, L'Étincelle), Walter White se concentrait quant à lui sur la carrière, puis sur le lynchage d'un médecin noir, vétéran de la Première Guerre mondiale. Protestant contre l'oppression raciale et révélant ses expressions les plus barbares, ce roman attirait également l'attention sur les classes émergentes dont l'ascension sociale se heurtait aux préjugés.
Après la publication des romans de Toomer, Fauset et White, qui montraient que les Noirs étaient en mesure de faire accepter leurs textes auprès de prestigieuses maisons d'édition, les écrivains et critiques noirs discutèrent des directions que pouvait prendre la fiction pour s'éloigner de la propagande de l'édification raciale et s'orienter vers une évocation de leur expérience qui soit plus nuancée et complexe sur le plan psychologique. Ils s'interrogèrent également sur la nécessité d'inventer de nouveaux styles et de nouvelles formes littéraires afin de transmettre l'expérience et la sensibilité noires à travers la fiction. Ils se demandaient cependant si certains éléments de cette expérience, considérant les dommages que continuaient de susciter les stéréotypes blancs, ne devaient pas être passés sous silence. Du Bois craignait que les éditeurs et les lecteurs blancs ne conduisent les écrivains noirs à un esthétisme creux ou à un primitivisme sans frein. L'immense succès de vente que connut Nigger Heaven de Van Vechten sembla confirmer ses peurs, en particulier après que certains jeunes auteurs noirs eurent pris la défense du roman tandis que, vers le même moment, Harlem devenait une destination nocturne populaire pour les Blancs désireux de s'encanailler. Les fêtes interraciales, organisées par des Noirs comme par des Blancs, permirent également au mouvement de trouver des réseaux de soutien et des mécènes. Certains spécialistes se demandent dans quelle mesure ce mécénat favorisa les errements et, à terme, la destruction du mouvement – une question qui continue de faire débat.
Nella Larsen et Rudolph Fisher, deux romanciers d'envergure (et amis), explorèrent les questions de psychologie, de classe et de sexualité raciales dans la ville moderne. La première, dans ses romans Quicksand (1928, « Sables mouvants ») et Passing (1929, Passer la ligne), analyse les subtilités psychologiques de la conscience raciale et met en lumière les extraordinaires pressions qui assujettissent la sexualité féminine aux lois de la race et de la classe. Fille d'un émigré danois et d'une cuisinière aux racines noires et antillaises, elle connaissait intimement le prix que la culture de la frontière raciale faisait payer à ceux qui transgressaient ses règles[...]
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Écrit par
- George HUTCHINSON : professeur de littérature à l'université de l'Indiana à Bloomington
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
Classification
Autres références
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ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - La littérature
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