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RENAISSANCE DE HARLEM

Le théâtre

Les pièces de théâtre écrites durant la renaissance de Harlem tentèrent de surmonter l'emprise exercée depuis des décennies sur l'imagination populaire par les minstrel shows ; ces spectacles où jouaient des Blancs au visage noirci avaient introduit de multiples stéréotypes prégnants et dévastateurs qui limitaient la représentation sur scène de la vie quotidienne des Noirs. Critiques, dramaturges et acteurs débattirent de la fonction du théâtre, de son objet et de la manière de donner à voir l'expérience nègre. Un certain nombre de pièces sur la vie des Noirs écrites par des Blancs furent applaudies par la critique et remportèrent un franc succès auprès du public de la fin des années 1910 jusqu'au milieu de la décennie de 1930, apportant aux acteurs noirs une expérience précieuse et inspirant les dramaturges noirs. Les plus remarquables d'entre elles furent Plays for a Negro Theater (1917, « Pièces pour un théâtre nègre ») de Ridgely Torrence, The Emperor Jones (1921, L'Empereur Jones) d'Eugene O'Neill, In Abraham's Bosom (1927, « Dans le sein d'Abraham ») de Paul Green et The Green Pastures (1929, Verts Pâturages) de Marc Connelly. Ces textes incitèrent par ailleurs certains dramaturges noirs à donner des exemples plus authentiques de pièces dites nègres. De nouvelles compagnies composées entièrement d'acteurs noirs virent ainsi le jour dans plusieurs villes.

Alain Locke, en partie influencé par l'Abbey Theatre de Dublin, en Irlande, pensait que le théâtre noir devait naître de la « pièce populaire » et révéler l'âme d'un peuple au lieu de se concentrer sur la contestation ou la promotion de mesures politiques. W. E. B. Du Bois soulignait au contraire que « tout art est propagande ». La tension entre ces deux positions se retrouve dans une grande partie de la production théâtrale écrite par des Noirs entre 1917 et 1937. Parmi les dramaturges de l'époque figurent Alice Dunbar-Nelson, Angelina Weld Grimké, Zora Neale Hurston, Wallace Thurman, Langston Hughes, Mary P. Burrill, Marita Bonner, Georgia Douglas Johnson, Willis Richardson, Eulalie Spence, Frank Wilson et Randolph Edmonds. Willis Richardson fut le plus prolifique d'entre eux. Très influencé par les idées d'Alain Locke, il focalisa ses premiers textes sur l'expérience des communautés noires du Sud mais fit passer, au fil du temps, un message plus pédagogique ou encourageant. Sa comédie The Chip Woman's Fortune, jouée à New York pendant la saison 1923 par l'Ethiopian Art Theater de Chicago une troupe noire créée par le metteur en scène blanc Raymond O'Neil), devint la première pièce non musicale signée par un Noir à être montée sur les planches de Broadway. Parmi les autres œuvres majeures de Richardson citons Compromise : A Folk Play (1925) et Broken Banjo (1925).

Amie et admiratrice d'Alain Locke, Georgia Douglas Johnson signa elle aussi un certain nombre de textes de théâtre dans les années 1920 et 1930. Elle avait tendance à se concentrer sur l'expérience des membres les plus assujettis de la communauté noire, en particulier les femmes, mais s'insurgeait également contre l'oppression raciale et spécialement contre les lynchages – thème récurrent dans le théâtre féminin de la Renaissance de Harlem. Zora Neale Hurston défendait une position similaire à celle de Locke sur l'importance des pièces populaires, mais elle alla plus loin encore, suggérant qu'elles devaient s'inspirer des styles et des modes de jeu rencontrés dans les cafés-concerts et sous les porches de petites villes du Sud rural ainsi que dans les cabarets entièrement noirs des zones urbaines. Selon elle, le mimétisme, l'ostentation, les mouvements dégingandés et l'espièglerie caractérisaient l'expression des petites gens, tandis que Locke (davantage influencé par le théâtre populaire européen[...]

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Écrit par

  • : professeur de littérature à l'université de l'Indiana à Bloomington
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  • ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - La littérature

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    • 40 118 mots
    • 25 médias
    Dans les années 1920, la Renaissance de Harlem, inaugurée avec le manifeste The New Negro (1925) d’Alain Locke, proclame une fierté raciale qui se tourne vers l’Afrique dans un élan teinté de primitivisme. Son texte le plus éclatant est le chef-d’œuvre moderniste Canne (Cane, 1924) de Jean...
  • HUGHES LANGSTON (1902-1967)

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    Phénomène littéraire en quelque sorte, Langston Hughes l'est non seulement parce qu'il a pratiqué tous les genres, y compris la comédie musicale, mais parce qu'il est l'un des premiers Noirs américains à avoir vécu de sa plume et, sans conteste, celui qui a le plus œuvré pour faire...

  • HURSTON ZORA NEALE (1891-1960)

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    Folkloriste et écrivain américain associé au mouvement de la Renaissance noire, Zora Neale Hurston célébra la culture afro-américaine du Sud rural.

    Née le 7 janvier 1891 à Notasulga, en Alabama, Zora Neale Hurston prétend avoir vu le jour dix ans plus tard à Eatonville, en Floride. Sa famille...

  • LOCKE ALAIN LEROY (1885-1954)

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    Écrivain et philosophe américain, né le 13 septembre 1885 (et non 1886) à Philadelphie, mort le 9 juin 1954 à New York, célèbre « leader » et interprète du mouvement de la Renaissance de Harlem.

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