RENAISSANCE DE HARLEM
L'héritage
À la fin des années 1930, les écrivains noirs américains, influencés par la grande dépression et par la pensée marxiste reléguée au second rang durant la décennie de 1920, tentèrent de différencier leur travail de celui de la décennie précédente, alors baptisée « mouvement de Harlem » ou « Renaissance nègre ». Ils fustigeaient en effet ses tendances bourgeoises et le prétendu mécénat offert par les Blancs décadents, qui auraient selon eux encouragé les écrivains et artistes noirs les moins audacieux à supplier l'Amérique blanche de les accepter en son sein.
Un certain nombre d'écrivains continuèrent cependant de produire des textes qui se reliaient clairement à leurs travaux des années 1920, en particulier Langston Hughes, Zora Neale Hurston et Sterling Brown, ainsi qu' Arna Bontemps, rédacteur pour les magazines Opportunity et The Crisis durant cette décennie, dont le premier roman God Sends Sunday (1931) est souvent considéré comme le dernier ouvrage de la Renaissance de Harlem. Le mouvement des années 1920 avait par ailleurs grandement ouvert les portes des maisons d'édition et des théâtres. Même au beau milieu de la dépression, les textes noirs américains continuèrent de paraître chez de prestigieux éditeurs ; de même, des acteurs noirs tels qu'Ethel Waters figuraient en tête d'affiche des spectacles de Broadway, et les arts plastiques noirs s'épanouissaient. Tandis que Richard Wright fustigeait les écrivains de la décennie de 1920 pour avoir joué les ambassadeurs culturels bienséants au lieu de faire cause commune avec les aspirations de la classe ouvrière noire, sa propre utilisation du folklore et du langage noirs du Sud dans ses premières œuvres de fiction devait beaucoup aux expériences d'auteurs de la génération précédente tels que Zora Neale Hurston, Claude McKay et Langston Hughes. Les approches satiriques de George Schuyler, de Wallace Thurman et de Langston Hughes allaient être remises au goût du jour à partir des années 1960 par des écrivains tels que William Demby, Charles R. Johnson et Ishmael Reed. L'intégration du folklore chez Zora Neale Hurston ainsi que sa focalisation sur les expériences et les voix féminines allaient ouvrir des pistes pour les femmes de lettres noires des générations suivantes, à commencer par Alice Walker. Plus tard encore, les œuvres de fiction de Nella Larsen inspirèrent les auteurs noirs américains d'origine mixte et lui valurent les éloges intarissables d'universitaires s'intéressant à la psychologie raciale et à la sexualité des femmes noires.
La Renaissance de Harlem eut par ailleurs de fortes retombées internationales. The Fire in the Flint de Walter White fut ainsi traduit en français, de même que Banjo de Claude McKay. L'anthologie Negro (1934) publiée par Nancy Cunard contribua quant à elle à mieux faire connaître des écrivains noirs auprès de la gauche européenne. Les intellectuels francophones noirs installés à Paris, y compris les chefs de file du mouvement de lutte contre le colonialisme et l'assimilation qui allait par la suite être baptisée négritude (tels qu'Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor), puisèrent enfin leur inspiration dans les œuvres des écrivains de la Renaissance de Harlem, en particulier Claude McKay et Langston Hughes. Si ce mouvement ne provoqua pas les bouleversements sociopolitiques que certains avaient espérés, il est aujourd'hui clair qu'il marqua un tournant dans l'histoire culturelle noire : il aida de fait à établir l'autorité des auteurs et artistes noirs sur la représentation de la culture et de l'expérience noires, et leur offrit une place sans cesse grandissante au sein de la culture savante occidentale.
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Écrit par
- George HUTCHINSON : professeur de littérature à l'université de l'Indiana à Bloomington
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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