Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

GUTTUSO RENATO (1912-1987)

Article modifié le

Né à Bagheria (Sicile), le plus célèbre peintre italien du xxe siècle, après Giorgio de Chirico, ne se dissocie pas, par la sensualité et la violence de sa peinture figurative, du pays où il est né. Il a commencé par y faire des études de droit en 1930 et exposera ses tableaux avec des artistes siciliens jusqu'à la guerre. À partir des années 1935-1937, il prend une position antifasciste et s'installe définitivement à Rome en 1937, où il se fait remarquer par L'Exécution en campagne, sa première grande toile, qu'il dédie à Federico García Lorca. Mais c'est avec La Fuite de l'Etna, en 1938, qu'il relance le réalisme en Italie, un réalisme qui tient compte de Guernica, tempétueux, plus fidèle au modèle picassien, ou goyesque, qu'aux impératifs du réalisme socialiste, auquel son militantisme aurait pu le faire céder davantage. Lié aux peintres et aux écrivains qui vont compter au lendemain de la guerre, De Libero, Alberto Moravia, qui lui consacrera de belles pages, c'est avec le groupe de peintres Corrente, qu'il a contribué à fonder à Milan en 1934, qu'il mène un combat politique à travers la peinture. « Peindre des bouteilles ou faire de la poésie hermétique, a-t-il dit, était en soi une protestation. » Cherchant à voir les anciens d'un œil contemporain, il ne succombe pas, malgré l'estime et l'amitié qu'il porte à certains peintres abstraits, à la tentation de la peinture-peinture. À contre-courant, il tente même de ressusciter la peinture d'histoire, comme il le fera encore en 1952 dans La Bataille du pont Ammiraglio, qui évoque Garibaldi. Mais c'est toujours de manière collective, avec le groupe Corrente, dont faisaient partie en 1940-1942 des peintres comme Emilio Vedova, Bruno Cassinari, Renato Birolli et Ernesto Treccani, qu'il entend protester « contre la dégénérescence politique, civile et intellectuelle ». Il participe malgré tout à la quadriennale de Rome en 1943, mais se réfugie à Quarto, en dehors de Rome, à la fin de la guerre, et réalise la série de ses dessins, Got mit uns, qui dénoncent les massacres nazis, tout en participant à la Résistance et à la Libération. Ayant fondé en 1947 le Fronte nuovo delle arti, il entreprend l'invention d'une peinture « sociale » qui lui est propre et qui aborde les sujets les plus contemporains : L'Occupation des terres incultes en Sicile (1950) et après la polémique que déclenche La Bataille du pont Ammiraglio à la biennale de Venise de 1952, dresse le portrait de la jeunesse nouvelle dans Boogie-Woogie (1953-1954), où des jeunes gens dansent devant une toile de Mondrian qui porte le même titre, puis celui de la société des loisirs dans La Plage (1955-1956), où l'on distingue Picasso parmi les estivants vautrés au soleil. Engagé dans le P.C.I., pour lequel il deviendra sénateur, il expose aussi bien à New York, en 1958, où Douglas Cooper, Roberto Longhi et James Thrall Soby le présentent, qu'au musée Pouchkine de Moscou et à l'Ermitage de Leningrad en 1961, et au Stedelijk Museum d'Amsterdam l'année suivante. En 1968, il colle de nouveau à l'événement dans son Journal mural : mai 1968. Les boucliers de la police et les carrosseries de voitures incorporées aux barricades y sont présentés comme un conglomérat anonyme, entre des immeubles ultra-modernes et des drapeaux rouges qui masquent les visages des manifestants. En 1972, il peint Les Funérailles de Togliatti, et se consacrera ensuite à des tableaux où l'allégorie se mêle à des rêveries sensuelles et à des angoisses solitaires. Il y révèle un amour nostalgique pour les femmes, les peintres : Le Café Greco (1976), où Giorgio De Chirico est assis parmi les clients, Van Gogh présente son oreille au bordel d'Arles (1978) rempli de jolies femmes, Trois ouvriers et une prostituée (1979), où la prostituée s'exhibe nue dans un cimetière de voitures. Mais le plus surprenant de tous ces tableaux est sans doute, dans une suite intitulée Visites, L'Apparition de Picasso et de Dürer dans l'atelier de Velate (1973). Le peintre semble y offrir un banquet imaginaire à ses héros, dans un décor presque abstrait, plutôt théâtral, composé de grands châssis vides, peints en rouge. L'inquiétude latente qui baigne les tableaux des dernières années de Guttuso, qui souffrait sans doute davantage qu'on ne le croyait du décalage de sa peinture par rapport à l'évolution de l'art en Occident, ne l'a pas empêché de rendre hommage aux fondateurs de l'avant-garde, comme dans Persistance de la métaphysique (1972). On y reconnaît les ready-mades de Duchamp et le fer à repasser de Man Ray devant une bibliothèque de livres sans titres, où le célèbre gant de Giorgio De Chirico est suspendu comme un talisman. Son ultime Autoportrait, où on le voit se hisser sur un toit de tuiles pour rejoindre comme dans un cauchemar des monstres de pierre juchés sur un pont, à contre-jour, est sans doute le testament d'un peintre qui — tel Jean Hélion en France — a vécu la tentation du réalisme comme une utopie.

— Alain JOUFFROY

Accédez à l'intégralité de nos articles

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Voir aussi