RENÉ, François René de Chateaubriand Fiche de lecture
René (sous le titre René et Céluta) et Atala furent conçus au départ comme des épisodes des Natchez, roman dont Chateaubriand (1768-1848) puisa l'inspiration dans son voyage en Amérique du Nord (juillet-décembre 1791), mais qu'il ne publia qu'en 1826. Il l'a en effet provisoirement délaissé au printemps de 1798 au profit du Génie du christianisme. Si Atala est publiée séparément dès 1801, les deux épisodes se retrouvent incorporés dans la première édition du Génie du christianisme (1802) et y demeureront jusqu'à la cinquième (1809). Mais, après leur avoir apporté quelques corrections, Chateaubriand en donne en 1805 une édition séparée sous le titre Atala-René. Ce petit volume illustré connaît aussitôt un immense succès auprès du public.
Chateaubriand cite dans sa Préface de 1805 des extraits du Génie du christianisme illustrés par l'histoire de René, en particulier le développement de la deuxième partie (livre III, chap. ix) intitulé « Du vague des passions ». Cet état de l'âme, qui se répand à mesure que les peuples avancent en civilisation, se caractérise par des désirs de l'imagination toujours inassouvis et une amertume à laquelle la religion peut seule apporter remède. C'est, dans la littérature française, la première analyse célèbre de ce mal d'être que les romantiques, l'expliquant plus précisément par l'époque qui a suivi la Révolution et l'Empire, baptiseront aux alentours de 1830 le « mal du siècle ».
Le roman du désespoir
Recueilli par la tribu des Indiens Natchez de Louisiane, René (dont le récit occupe presque la totalité des trente à quarante pages de l'ouvrage) raconte l'histoire de sa vie à son père adoptif Cachtas et à un missionnaire, le père Souël. Dans le château paternel, au milieu des forêts, il n'a eu pour amie que sa sœur Amélie. Après de longs voyages qui l'ont laissé insatisfait, il a eu la douleur de voir que sa sœur l'évitait, et il a éprouvé la tentation du suicide. Amélie l'en a détourné, puis s'est retirée au couvent après avoir laissé échapper son secret : elle aimait trop son frère. Après s'être par désespoir exilé en Amérique, René y a appris la mort de sa sœur. Une fois le récit achevé, le père Souël dénonce les chimères dans lesquelles René s'est complu et l'exhorte à renoncer à une solitude qui est mauvaise du moment qu'on n'y vit pas dans la pensée de Dieu.
Chateaubriand niera plus tard que son récit soit autobiographique, prétendant même ne s'être souvenu qu'après 1832 que René était son second prénom (l'édition de 1805 était signée du nom de François-Auguste de Chateaubriand). Comment le croire ? Le château où se déroule l'enfance de son héros fait songer au château de Combourg, en Bretagne ; surtout, les sentiments troubles que partagent René et Amélie évoquent ceux qu'éprouva pour lui sa sœur Lucile. Mais, quand il fait dire à René « j'ai coûté la vie à ma mère en venant au monde », il reproduit presque mot pour mot le texte des Confessions de Jean-Jacques Rousseau, non sa propre expérience. C'est plus précisément encore dans la lignée de Werther (1774), ce roman de Goethe qui provoqua dans l'Europe entière une vague de suicides, que s'inscrit René. Le désespoir du héros de Chateaubriand est toutefois d'une essence plus profonde que celui du héros de Goethe : celui-ci ne devait qu'à une malchance – avoir rencontré Charlotte alors qu'elle s'était engagée avec un autre homme – de ne pas connaître le bonheur ; en n'offrant à René d'autre perspective que celle d'une passion incestueuse, Chateaubriand suggère l'impossibilité de l'amour lui-même.
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Écrit par
- Pierre-Louis REY : professeur de littérature française à l'université de Paris III-Sorbonne nouvelle
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