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DESCARTES RENÉ (1596-1650)

L'homme concret

Des questions embarrassantes

En dehors de Dieu, substance incréée et infinie, il existe, selon Descartes, deux sortes de substances, des substances créées, immatérielles et pensantes : les âmes ; des substances créées, matérielles et étendues : les corps. Nous pouvons penser l'âme sans faire intervenir l'idée du corps, et réciproquement. Nous avons donc de l'âme et du corps deux idées « distinctes » et, la véracité divine garantissant la correspondance entre la distinction des idées et celle des choses, nous pouvons conclure que l'âme n'a pas besoin du corps pour exister, ni le corps de l'âme, autrement dit que la substance spirituelle et la substance corporelle sont réellement distinctes.

Il n'en reste pas moins que l'homme est composé de ces deux substances, et résulte de l'union, voulue par Dieu, d'une âme et d'un corps. Or, dans les années qui suivent la publication des Méditations, Descartes est amené à réfléchir, plus qu'il ne l'avait fait jusqu'alors, sur les problèmes posés par cet homme concret. D'une part, son disciple Regius, se croyant fidèle à la philosophie de Descartes, soutient que l'homme est un être par accident (ens per accidens), c'est-à-dire une rencontre. Une telle affirmation, opposée à la doctrine de l'École, lui vaut maint ennui, et Descartes doit préciser que, selon lui, l'homme est, sinon, à proprement parler, une substance, du moins un être par soi (ens per se). D'autre part la princesse Élisabeth, avec laquelle, à partir de 1643, la correspondance de Descartes est abondante, pose de bien embarrassantes questions. Fidèle aux enseignements du cartésianisme, elle ne parvient pas à concevoir l'union de l'âme et du corps, et demande à Descartes de l'éclairer. Comment comprendre en effet qu'une volonté puisse mouvoir la matière, ou qu'un mouvement de matière puisse produire une douleur ? Ayant divisé l'homme en deux substances, Descartes pourra-t-il les réunir ?

En vérité, Descartes avait déjà noté que l'âme n'est point dans le corps « ainsi qu'un pilote en son navire ». Si, en effet, remarque-t-il en la Méditation sixième, l'âme avait une telle position par rapport au corps, « lorsque mon corps est blessé, je ne sentirais pas pour cela de la douleur, moi qui ne suis qu'une chose qui pense, mais j'apercevrais cette blessure par le seul entendement, comme un pilote aperçoit par la vue si quelque chose se rompt en son vaisseau ». Autrement dit, un esprit uni du dehors à un corps verrait ce corps à titre d'objet. L'expérience de l'affectivité prouve suffisamment que tel n'est pas le cas pour l'homme.

Mais cette constatation n'est pas une explication. Et il faut reconnaître que, aux questions que lui pose Élisabeth, Descartes ne fournit aucune réponse proprement explicative. Pour caractériser l'union de l'âme et du corps, il invoque une troisième notion primitive, et déclare que c'est « en usant seulement de la vie et des conversations ordinaires et en s'abstenant de méditer et d'étudier aux choses qui exercent l'imagination qu'on apprend à concevoir l'union de l'âme et du corps ». Renonçant même à la règle de la distinction des idées, il supplie Élisabeth « de vouloir attribuer [....] matière et [...] extension à l'âme, car cela n'est autre chose que la concevoir unie au corps ». On le voit, cela revient à dire que le problème de l'union se situe en dehors de la philosophie, et même qu'on ne peut concevoir cette union qu'en cessant de philosopher.

Les passions et la liberté

Et pourtant, s'il en est ainsi, ne faut-il pas renoncer à la morale ? Car la morale s'adresse à l'homme concret, à l'homme fait de désirs et de passions,[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire à l'université de Paris-Sorbonne, membre de l'Institut (Académie des sciences morales et politiques)

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