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ETIEMBLE RENÉ (1909-2002)

On devait dire « Etiemble » comme on dit « Voltaire » : comme lui, ce polémiste-né aura mis sa plume vive et brillante au service de nobles causes, et en particulier celle de la littérature comparée.

Etiemble a fait place à Voltaire dans son cours publié sur L'Orient philosophique au XVIIIe siècle (1957-1959), récrit plus tard et enrichi sous le titre L'Europe chinoise (1988-1989). Il partageait avec lui certaines curiosités, pour Confucius, auquel il avait consacré un livre dès 1956, pour la querelle des Jésuites en Chine (1966), et pour ce vaste pays lui-même (Connaissons-nous la Chine ?, 1964). En témoigne la place qu'il fit à la littérature chinoise dans sa collection Connaissance de l'Orient (Gallimard-U.N.E.S.C.O.). Enfin, il eut pour le maoïsme une inclination dont il revint, avec la grande honnêteté intellectuelle qui était la sienne (Quarante Ans de mon maoïsme, 1934-1974, Gallimard, 1976).

La Chine n'était pas seule à attirer Etiemble. Professeur de littérature comparée à la Sorbonne de 1955 à 1979, il fit confiance aux chercheurs de tous les pays qui venaient vers lui.

On a parfois cru qu'il négligeait les aires du comparatisme devenues traditionnelles depuis la fondation de la discipline au xixe siècle. Il n'en est rien. Parfait angliciste, il a traduit La Matrice de T. E. Lawrence, ainsi que ses Lettres. Amateur de poèmes, comme le prouve le recueil Le Cœur et la cendre, soixante ans de poésie (1984), il a transposé en français aussi bien Goethe que Cavafy, Li Po que Miguel Hernández.

Attentif aux impostures et aux erreurs d'interprétation, Etiemble a consacré à Arthur Rimbaud son premier livre (Rimbaud, en collaboration avec Yassu Gauclère, 1936). Les deux thèses qui suivent constituent un ensemble monumental et nécessaire, Le Mythe de Rimbaud (Structure du mythe, 1952, Genèse du mythe, 1954), qu'il ne cessa d'enrichir en prolongeant son enquête dans les pays étrangers.

Homme d'un immense savoir, Etiemble considérait le goût comme une qualité première. Cette alternative, Savoir et goût, constitue le sujet du troisième des cinq volumes qui composent Hygiène des lettres (1952-1967). Leur complémentarité bien tempérée était l'idéal qu'il prônait. Sur ce point, il s'engagea fortement, au point de faire figure d'enfant terrible du comparatisme quand, après le congrès de l'Association internationale de littérature comparée qui s'était tenu à Chapel Hill en 1958, il sembla prendre ses distances avec l'histoire littéraire comparée pratiquée par l'école française, trop lansonienne à ses yeux. Il en résulta un essai piquant, Comparaison n'est pas raison. La crise de la littérature comparée (1963), qui met en garde contre plusieurs écueils : le chauvinisme intempérant, le didactisme pédant, la réduction du champ comparatiste à quelques domaines linguistiques. Ce livre, auquel il est resté fidèle en l'intégrant à ses Ouverture(s) sur un comparatisme planétaire (1988), donne une grande leçon d'humanisme et de goût littéraire.

La progression des titres, chez Etiemble, n'a rien à voir avec un jeu de surenchère mais reflète une exigence de plus en plus dévoratrice : on passe de la littérature comparée de l'essai de 1963 aux Essais de littérature (vraiment) générale (1974-1975), enrichis par l'expérience de sa collaboration à l'Encyclopædia Universalis pour le domaine littéraire, et à ce comparatisme planétaire final. Cette curiosité intellectuelle prodigieuse n'excluait pourtant ni la méfiance à l'égard des productions médiocres, ni la lutte contre le mélange des langues (le « babélien », le « franglais » auquel il consacra en 1964 un pamphlet qui fit date, et aussi le « jargon des sciences »). Elle n'étouffa jamais en Etiemble la vocation et le talent d'écrivain. Le comparatiste est illustre,[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite de littérature comparée à l'université de Paris-Sorbonne, membre de l'Académie des sciences morales et politiques

Classification

Autres références

  • LITTÉRATURE - La littérature comparée

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    • 11 096 mots
    • 2 médias
    En France, celui qui fut souvent considéré comme l'enfant terrible du comparatisme, et qui fut en même temps un maître éminent de la Sorbonne, exerça sa verve et sa sagacité dans un essai aux allures de pamphlet, Comparaison n'est pas raison – La crise de la littérature comparée...