GIRAULT RENÉ (1929-1999)
René Girault a été un grand historien des relations internationales, dans la prestigieuse lignée de Pierre Renouvin et de Jean-Baptiste Duroselle. Sur les traces de ses prédécesseurs à la Sorbonne, il a continué à faire sortir cette discipline historique du champ traditionnel de l'histoire diplomatique, au-delà des simples relations entre les diplomates ou entre les États. Voulant reconstituer une histoire globale de tous les types de rapports entre les hommes « séparés par les frontières », il est devenu un authentique « historien des relations entre les peuples ».
Sa thèse, Emprunts russes et investissements français en Russie, 1887-1914, soutenue en 1971 et publiée en 1973, a préludé à nombre de ses travaux sur la Russie. Elle a aussi lancé la première étape de son parcours intellectuel, marquée par les débats des années 1960 et 1970 sur l'« impérialisme ». René Girault s'est alors beaucoup interrogé sur le poids des « forces économiques » dans les relations internationales, sur le rôle des industriels et des banquiers dans l'élaboration de la politique extérieure d'un pays. Très tôt, il a considéré que l'histoire des relations économiques était à bien des égards inséparable de l'histoire des mentalités et que l'étude des cercles d'affaires devait passer par l'analyse de la formation, des perceptions et de la culture de ces hommes influents.
Cette approche perceptionniste et culturelle n'a cessé ensuite de se développer dans ses travaux, avec une nouvelle réflexion sur le rapport entre opinion publique et politique extérieure, ainsi qu'une contribution de poids à ce qui fut bientôt appelé l'histoire des représentations et des imaginaires sociaux. Mais, en même temps, la « méthode Girault » se précise, refusant toute explication monocausale par le « tout-économique » ou le « tout-culturel », au gré des modes intellectuelles du moment. Elle est brillamment mise en application au début des années 1980 avec l'élaboration d'un ambitieux programme international de recherche sur la « perception de la puissance en Europe ». Créant un réseau de plusieurs dizaines d'historiens européens, René Girault construit une problématique d'histoire globale : comment quatre pays d'Europe, l'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et l'Italie, perçoivent-ils leur propre puissance et celle des autres, à diverses époques du siècle ? Comment ces quatre pays s'adaptent-ils finalement à la perte de leur statut de grande puissance ?
Cette interrogation sur la puissance en Europe a conduit René Girault à réfléchir sur la question de l'identité européenne au xxe siècle. Élargissant son réseau d'historiens (plus de cent cinquante chercheurs), il a dirigé entre 1989 et 1994 une vaste recherche collective sur l'évolution des identités et de la conscience européennes dans des milieux aussi divers que les cercles économiques, les élites politiques et les élites intellectuelles. Cette « Europe des historiens » laisse entrevoir une autre dimension de la « méthode Girault » : elle ne fut pas seulement réflexion, mais action, puisqu'elle a hautement contribué à créer une véritable communauté historique européenne.
L'« engagement européen » de René Girault n'a pas affecté son esprit critique vis-à-vis de la façon dont l'Europe se construisait, bien au contraire. C'est bien là la leçon d'un intellectuel en son siècle qui a su intégrer sa réflexion scientifique dans les grands débats démocratiques de son temps.
Bibliographie
R. Girault, De la Russie à l'U.R.S.S., l'histoire de la Russie de 1850 à nos jours (en collaboration avec M. Ferro), Nathan, Paris, 1973, 3e éd. 1989 ; Diplomatie européenne et impérialismes 1871-1914, Masson,[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Robert FRANK : professeur d'histoire des relations internationales à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
Classification