RENÉ LEYS, Victor Segalen Fiche de lecture
« Je ne saurai donc rien de plus »
Le récit qui nous est proposé résulte de la relation passionnée que le narrateur entretient avec la ville de Pékin, construite selon une géométrie rigoureuse autour du centre du pouvoir, la Cité interdite. « Je vais, dit-il, pour la dixième fois l'assiéger, l'envelopper, tenter le contour exact, circuler comme le soleil au pied de ses murailles de l'est, du sud et de l'ouest, achever, si possible, le périple en m'en revenant par le nord. » Une scène, particulièrement – un échange de confidences –, scelle l'intrigue. Lors d'une rencontre fortuite au pied des remparts du Palais, le narrateur, Victor Segalen, confie à René Leys sa fascination pour les « passions murées, les vies dynastiques... » et, plus précisément, le mystère qui règne autour de la vie de l'empereur Guangxu. Cette confidence, prononcée avec une émotion grave, contenue, est suivie d'une autre, non moins forte et lourde de conséquences, qui émane de René Leys : « Je L'ai vu », prononce-t-il en évoquant l'Empereur. Là débute le roman, et s'initie le drame futur. René Leys, dont le père doit regagner l'Europe, devient l'hôte du narrateur qui l'espère à sa table, et attend les suites des révélations sur le « Dedans » des Palais impériaux. Aux atermoiements, aux silences calculés succèdent les descriptions magiques délivrées avec parcimonie par le professeur. Les mots sont précis, tactiles. Le narrateur, renversé sur une chaise de joncs tressés, les yeux pendus « au plafond cave étoilé » de la cour intérieure de sa maison, oriente son corps « exactement face au midi », comme pour mieux pénétrer la Cité interdite. « Je me sens participer... » précise-t-il dans l'attente des informations que lui fournit René Leys, son véhicule par procuration dans les Palais impériaux. Mais ces dialogues chargés d'affectivité s'entachent de scènes d'humeur, de suspicion qui, petit à petit, prennent le pas sur cette singulière relation. Pris en faute, René Leys s'évanouit souvent. Une quatrième syncope et le poison lui seront fatals. Dans une dernière scène particulièrement étrange, Segalen, rendu auprès du corps sans vie de René Leys, le déshabille comme pour mettre au jour l'inaccessible vérité : « Il ne s'est jamais démenti. L'interrogatoire incisif dans la claire nuit froide ne pouvait conduire à rien. Je demandais : oui ou non, as-tu... Mais j'aurais été cent fois déçu s'il avait renié ses actes, même inventés ; mais je tremblais plus que lui à sentir vaciller le bel échafaudage... Mais j'entendais venir sa réponse il m'aurait plus durement trompé en me détrompant sans pitié. Il est resté fidèle à ses paroles et peut-être fidèle à mes suggestions... »
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Yves KIRCHNER : écrivain
Classification