PÉTILLON RENÉ (1945-2018)
Bien peu de dessinateurs brillent à la fois dans la bande dessinée et le dessin de presse. Hormis les grands noms de Charlie Hebdo (Wolinski, Cabu, Reiser, Willem, Gébé), les autres se comptent sur les doigts d’une main. Pétillon est l’un de ceux-là.
René Pétillon est né le 12 décembre 1945 dans le village finistérien de Lesneven, de parents boulangers-pâtissiers, catholiques fervents. Mauvais élève, exclu du collège, il lit les revues chrétiennes, Spirou et les albums de Tintin, collectionne les images de chocolat et dessine tôt.
Après son service militaire, cet autodidacte encore maladroit fait le tour des journaux parisiens, entre deux petits boulots, avec ses dessins d’humour. Plexus et Planète le publient. Mai-68 arrive, il se glisse à L’Enragé, participe à Action. Puis ce sera Week-end, 20 ans, Penthouse, Jeune Afrique, Miroir du fantastique...
En 1972, il entre à Pilote avec ses premières BD. Là, il crée en 1974 le personnage de Jack Palmer, détective raté attifé comme Columbo, et gaffeur halluciné. Suivront dix-sept volumes de ses aventures à partir de 1976, prépubliées également dans VSD, BD Hebdo, Télérama, Pilote & Charlie... Le succès de ce « martien » aux enquêtes dérisoires ira croissant, avec des épisodes comme Les Disparus d’Apostrophes (1982), puis L’Enquête corse (2001) et L’Affaire du voile (2006). Le deuxième de ces titres, adapté au cinéma, est acclamé autant par les nationalistes que par les républicains corses.
Entre-temps, Pétillon s’est tourné vers les revues de la nouvelle BD : L’Écho des savanes (1974-2000), Métal hurlant, Fluide glacial, Chic… Il scénarise pour Rochette (trois albums des personnages Dico & Charles), Florence Cestac (Super Catho), sans oublier un coup de maître, les strips du Baron noir avec Yves Got, publié dans L’Écho des savanes puis Le Matin de Paris (1976-1981). Son aigle prédateur, incarnation du capitalisme, s’acharne sur des moutons impuissants avec un cynisme assumé. Préfigurant le règne du libéralisme débridé, alors à peine esquissé, cette BD n’a pas pris une ride.
Retrouvant le cartoon, Pétillon travaille à VSD (1988-1996), avant d’entrer en 1993 au Canard enchaîné,où il relève le niveau de l’humour politique. Il participe aussi au Point ou au Journal du dimanche, travail dont il sortira vingt-deux albums. Rarement un dessinateur s’est montré aussi juste dans ses analyses politiques : chez lui, le bon sens est roi.
Son Palmer, dont l’incompétence empêche qu’on le prenne au sérieux, peut se permettre des aventures d’une incroyable audace politique, s’attaquant à des communautés parfois nerveuses (nationalistes corses, catholiques intégristes), voire violentes (islamistes). Mais il n’a jamais d’ennuis, car cet écolo pacifique, s’il est rosse, impitoyable, dessine sans agressivité, croquant les pires crapules avec une commisération à la limite de la tendresse : il se moque du ridicule, il ne saurait donc le haïr.
Malhabile au départ, Pétillon a épuré son trait jusqu’à la virtuosité des dernières années. Ce style percutant et virulent ne peut être rattaché à aucune école, et se situe aux antipodes de la mode graphique post-soixante-huitarde, façon CharlieHebdo. Ses contours parfois épais en soulignent la douceur. Mais une douceur qui « tue » quand même la victime qu’il a dessinée. Beaucoup de politiciens lui doivent leur image négative.
Casanier, hypocondriaque mais fumeur, cet homme intègre, charmeur pudique aux manières élégantes, meurt le 30 septembre 2018 à Paris.
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Écrit par
- Yves FRÉMION : écrivain et critique de la bande dessinée
Classification
Média
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- 22 913 mots
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