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RENÉ, François René de Chateaubriand Fiche de lecture

Romantisme et désenchantement

René deviendra l'ouvrage de référence d'une génération désenchantée qui en récitera des passages par cœur. Le geste de René gardant précieusement une lettre de sa sœur afin de s'interdire à l'avenir tout mouvement de joie symbolisera cette vocation au malheur, ce culte du désespoir que flétriront plus tard les adversaires du mouvement romantique. « „Levez-vous vite, orages désirés, qui devez emporter René dans les espaces d'une autre vie !“ Ainsi disant, je marchais à grands pas, le visage enflammé, le vent sifflant dans ma chevelure, ne sentant ni pluie ni frimas, enchanté, tourmenté, et comme possédé par le démon de mon cœur. » Cette fameuse invocation résume le désir des poètes de trouver dans les éléments naturels un écho à la vacuité de leur cœur. Au pire, l'image de René monté au sommet de l'Etna, dont les bouillonnements répondent à ses passions intérieures, et contemplant l'abîme ouvert à ses pieds, dessinera une posture facile pour des esprits en quête d'infini. « Si René n'existait pas, je ne l'écrirais plus ; s'il m'était possible de le détruire, je le détruirais », confiera Chateaubriand dans les Mémoires d'outre-tombe, considérant que la profusion des imitateurs avait altéré la pureté du modèle. Peut-être mesurait-il aussi à quel point son récit avait servi de façon équivoque la défense des vertus chrétiennes. Car s'il est vrai que René est détourné de la tentation du suicide, celui-ci ne pouvait pas moins apparaître à certains lecteurs comme une issue possible aux tourments de l'âme. Sainte-Beuve jugea « plaquée » la moralité de l'ouvrage. Le poète Chênedollé s'était montré plus catégorique : « Dans René Chateaubriand a caché le poison sous l'idée religieuse ; c'est empoisonner dans une hostie. »

Moins attentif que les contemporains de Chateaubriand au dessein apologétique de l'ouvrage, bénéficiant d'un recul historique qui a permis que sombrent dans l'oubli ses plus pâles imitateurs, le lecteur d'aujourd'hui peut être sensible à la cadence de phrases dont la rhétorique ne menace ni la musique, ni le pouvoir d'émotion, et admirer qu'en aussi peu de pages se donne à lire la durée d'une expérience, c'est-à-dire ce qu'il est convenu d'appeler un roman.

— Pierre-Louis REY

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Écrit par

  • : professeur de littérature française à l'université de Paris III-Sorbonne nouvelle

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