RÉPARTITION DES REVENUS
La question de la répartition du revenu d'une société entre ses membres est, avec celle des prix, au cœur de la réflexion des économistes. Elle peut être abordée d'un point de vue positif – comment cette répartition a-t-elle lieu effectivement dans nos sociétés ? – ou normatif – qu'est-ce qu'une bonne répartition ? Il est toutefois difficile, sinon impossible, pour le théoricien de séparer ces deux points de vue, tant l'idée qu'il se fait de ce que doit être une bonne répartition influence sa façon d'envisager la société telle qu'elle est.
Deux visions radicalement opposées
En théorie économique, on distingue deux façons radicalement opposées de traiter la question de la répartition d'un point de vue positif : d'une part, il y a ceux qui la conçoivent comme le partage du produit – d'une entreprise, ou de la société tout entière – entre divers groupes sociaux, selon une relation plus ou moins conflictuelle ; d'autre part, il y a ceux qui la considèrent comme le résultat de l'activité économique – et donc des lois qui régissent celle-ci. Dans le premier groupe, on trouve les fondateurs de l'économie politique – Adam Smith (1723-1790), David Ricardo (1772-1823), John Stuart Mill (1806-1873) – et Karl Marx (1818-1883). Le produit provient alors essentiellement du travail (vivant), et il est partagé entre les travailleurs proprement dits, les capitalistes (qui fournissent les moyens de production) et les propriétaires de la terre ou d'autres ressources naturelles (mines, lieux privilégiés d'une façon ou d'une autre, etc.). Du fait de la fragilité de leur position, les travailleurs – qui n'ont d'autre ressource que leur force de travail – vont voir leur salaire osciller autour d'un niveau de subsistance (relatif évidemment aux conditions de vie caractéristiques de la société dans laquelle ils vivent, et tenant compte de la nécessité d'élever des enfants, etc.), selon les circonstances (à commencer par le niveau de chômage). À cela s'ajoute la tendance à l'égalisation des taux de profit (du fait du déplacement des capitaux là où ce taux est le plus élevé, provoquant ainsi sa baisse) et la diversité des terres (donc des rentes). Cette approche ne va pas sans poser de problèmes importants – par exemple, la distinction entre travail productif et travail non productif.
Mais tel est le cas également pour l'autre approche, celle de l'école néo-classique, à laquelle sont notamment associés les noms de Stanley Jevons (1835-1882), Léon Walras (1834-1910) et Alfred Marshall (1842-1924). Pour celle-ci, la production de biens et services est le fruit de l'action conjointe de multiples facteurs de production, dont le travail, le capital et la terre – chacun étant rémunéré selon sa contribution. Concevoir ainsi le produit national comme une somme de contributions et invoquer ces mêmes contributions pour expliquer la répartition du produit entre les facteurs qui le composent peut toutefois sembler tautologique. Ce type d'approche amène aussi à s'interroger sur la signification – et le caractère comparable – des produits intérieurs bruts de divers pays : que penser d'un pays dans lequel une forte population carcérale induit une importante production de services sous forme de prisons, de sécurité, d'avocats, de magistrats, etc. ? En outre, cette présentation s'accompagne souvent d'un discours implicite d'ordre normatif : si rien ne vient entraver la concurrence (concurrence parfaite) et donc si les facteurs sont rémunérés selon leur productivité marginale (produit de la dernière unité utilisée), alors la répartition des revenus est non seulement juste (chacun obtenant la contrepartie de ce qu'il produit), mais efficace (les ressources sont affectées de façon optimale).[...]
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Écrit par
- Ozgur GUN : maître de conférences en sciences économiques à l'université de Reims
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