REPENTIR, film de Tenguiz Abouladze
Épreuves, exorcismes
Repentir trouve son inspiration dans le monde des morts d'où les fantômes reviennent dans une ronde à la fois magique et superstitieuse, propre aux rituels des montagnards caucasiens. Manière de revisiter en permanence le phénomène du stalinisme comme territoire de tous les revenants. Film polyphonique dans sa construction en abyme, Repentir joue d'une disjonction abrupte entre passé et présent. La fiction y mêle temps et genres, dans des références au marxisme comme à la chrétienté, dépossédant ainsi le spectateur de toute vision schématique et le déroutant par la diversité des scènes. Chaque épisode révèle un fait réel, des scènes de retrouvailles de familles de déportés lisant sur des troncs d'arbres les noms des disparus jusqu'au labyrinthe mystique énoncé à la fin : « À quoi sert un chemin qui ne mène pas au temple et s'il ne conduit nulle part ? ». Après le meurtre collectif et ritualisé du chef, comment accéder à la rédemption ? Plus qu'un phénomène politique ou social, le stalinisme s'inscrit ici comme la prolongation d'un roman familial baroque et décadent.
Bien avant sa présentation internationale à Cannes en 1987, la sortie de Repentir fut un succès immense dans toute l'U.R.S.S. Le film acquit une dimension cathartique. Il fut regardé et commenté par plus de 40 millions de spectateurs, suscitant un choc émotionnel comparable aux premiers écrits de Soljenitsyne publiés en 1962. Près de vingt-cinq ans plus tard, les horreurs du stalinisme étaient portées sur les écrans soviétiques. Dès la fin de ces années 1980, d'autres films de fiction comme Mon Ami Ivan Lapchine (Moï Droug Ivan Lapchin, 1982) d'Alekseï Guerman puis L'Été froid de l'année 53 (Kholodnoe leto « 53 » goda ,1987) d'Alexandre Prochkine ou Bouge, meurs et ressuscite (Zamri umri voskresni, 1989) de Vitali Kanevski avaient esquissé, mais de manière plus réaliste, ces questions. Film exorciste, Repentir trace un bilan en profondeur des espoirs déçus de la déstalinisation. À l'image de nombre de cinéastes d'Europe centrale, Tenguiz Abouladze hante les parcours d'une histoire sacrificielle maintes fois revisitée.
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Écrit par
- Kristian FEIGELSON : maître de conférences, sociologue à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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