REPRÉSENTATION, géographie
Longtemps les sciences humaines et sociales ont négligé les mécanismes de perception et d'appréhension du réel, considérant le chercheur comme un être objectif, capable de faire abstraction de sa personnalité et de sa conscience dans ses travaux. La question de l'objectivité scientifique n'est posée explicitement dans les sciences sociales qu'au xixe siècle. C'est en 1902 que le mathématicien Henri Poincaré aborde la question des représentations spatiales dans son ouvrage La Science et l'hypothèse : « Localiser un objet, cela veut dire simplement se représenter des mouvements qu'il faudrait faire pour l'atteindre, mais il faut concevoir différentes sortes de mouvements en fonction de nos choix. » Re-présenter signifie porter quelque chose devant soi et l'avoir ainsi à soi pour se l'approprier.
Subjectivité et représentations
À la suite des philosophes mais aussi des tenants de la psychologie développementale, les chercheurs en sciences sociales se sont mis à étudier les processus mentaux d'acquisition de la connaissance qui font qu'un objet, une situation, une action sont perçus, modélisés puis dotés de valeurs. Pour Jean Piaget (La Formation du symbole chez l'enfant, 1946), la distinction entre perception et représentation est essentielle. La perception est un acte instantané de nature physiopsychologique par lequel l'esprit se représente des objets en leur présence. Le concept de représentation, utilisé maintenant par les géographes, est plus vaste : la représentation consiste soit à évoquer des objets en leur absence, soit, lorsqu'elle s'accomplit en leur présence, à compléter la connaissance perceptive en se référant à d'autres objets non actuellement perçus. En ce sens, elle est une création de schémas pertinents du réel qui aident à fonctionner dans le monde. La représentation permet alors de structurer mentalement l'espace pour le pratiquer en fonction de nos valeurs et de nos objectifs.
Selon cette logique, le chercheur n'étudie pas le réel, et la connaissance qu'il en a repose sur ses constructions subjectives, qu'il mobilise dans ses recherches. La question qui se pose alors au géographe est celle des liens entre les créations sociales et individuelles de schémas spatiaux et la codification scientifique. Puisque le réel n'existe pas en dehors de nos représentations, il ne peut exister de définition objective de l'espace. La représentation exacte n'existe donc pas plus en cartographie, où il faudrait une carte à l'échelle 1 /1 pour être totalement conforme au réel, c'est-à-dire être le réel !
La géographie, comme toute science, construit son discours à partir de référentiels et de valeurs appliquées à son objet. Ainsi Armand Frémont (La Région, espace vécu, 1976) distingue-t-il l'espace social, ensemble de lieux fréquentés par le groupe dont l'individu fait partie, de l'espace vécu, valorisant les lieux affectifs, ceux de la « topophilie » (Yi Fu Tuan, Topophilia, A Study of Environmental Perception, Attitudes and Values, 1974).
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Écrit par
- Antoine BAILLY : docteur d'État, professeur à l'université de Genève (Suisse)
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