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REPRISE (H. Le Roux)

La genèse de Reprise date de 1981, lorsque Hervé Le Roux lit attentivement un numéro spécial des Cahiers du cinéma consacré au cinéma français. Là, il découvre la photo d'un film dont il ne sait rien, intitulé La Reprise du travail aux usines Wonder. Elle représente une jeune femme brune, au physique intense, en train de crier. Ce film, Hervé Le Roux devra attendre quelques années avant de le découvrir. Il a été réalisé en mai 1968 par deux étudiants de l'IDHEC, décidés à filmer la fin de la longue grève des ouvriers de Wonder. On y voit la jeune femme de la photo refuser violemment de retourner à son poste. Elle ne veut pas, dit-elle, « refoutre les pieds dans cette taule ». Autour d'elle, des syndicalistes tentent de la convaincre que la grève a porté ses fruits, que les choses ne seront plus jamais comme avant. Rien n'y fait : sa colère semble « inentamable ». À la fois bouleversé par la puissance d'évocation de ce geste symbolisant toute la déception d'un mouvement de révolte contraint de rentrer dans le rang, mais aussi fasciné par la beauté douloureuse de cette jeune fille entêtée, Hervé Le Roux décide de la retrouver. Mais parce que les archives des usines Wonder ont brûlé durant les années 1980 (période où Bernard Tapie en était le patron), Hervé Le Roux doit mener une enquête auprès de tous les autres protagonistes du film afin de savoir s'ils connaissaient cette femme. Reprise est ainsi le document de travail d'un cinéaste en quête du personnage d'un autre film et qui, pour le trouver, rencontre ceux qui constitueront le sien. Très vite, l'investigation d'Hervé Le Roux déborde le cadre qu'il s'était fixé. Les témoignages visent moins à donner des indications sur ce qu'est devenue la jeune femme (personne ne le sait) qu'à rapporter les commentaires, près de trente ans après, de ce moment unique dans l'histoire contemporaine : les grèves ouvrières de 1968.

À chaque personne rencontrée, Hervé Le Roux montre l'intégralité du film de 1968. Chaque intervenant reçoit ces images du passé comme une gifle : des pans de sa vie lui reviennent, il se voit avec trente ans de moins, reconnaît des gens qu'il n'avait pas revus depuis une éternité. L'émotion très forte que provoque Reprise vient de celle que suscite le film Wonder sur ceux qui le découvrent. Les personnages de Reprise sont avant tout des spectateurs, et le film une réflexion sur le vif autour de la puissance d'impact des images et de leur force unique d'évocation, capable de provoquer un déluge de paroles. À partir de ces réminiscences, en effet, les hommes et les femmes interviewés se mettent à raconter leur passé de travailleur, leurs conditions de vie, leurs prises de position durant la grève. La durée exceptionnelle du film (trois heures et demie) se justifie pleinement, car elle laisse le temps aux intervenants d'investir totalement leur discours. Ils ne font pas qu'exprimer des faits, ils les revivent, se replongent dans leur passé. De ce point de vue, le choix de nous montrer le film Wonder uniquement par fragments (alors que les personnages sur l'écran le voient en entier) est d'une grande pertinence. Ce film, réalisé sur le vif, n'est qu'un document partial, circonstancié, sur les événements. En revanche, la longue investigation de Le Roux, prenant le soin de donner la parole à tous les acteurs du drame et intervenant le moins possible dans leurs discours, vise à une reconquête de la mémoire collective. Au temps manipulé, trituré, qui caractérise ces extraits du film primitif, décortiqués à la table de montage, répond la plénitude d'un temps retrouvé par la libération de la parole.

On a pu déplorer que le monde ouvrier soit peu à peu devenu le grand absent du cinéma français contemporain. Récemment,[...]

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Écrit par

  • : Rédacteur aux Cahiers du cinéma, chargé de cours en Histoire du cinéma à l'université de Versailles-Saint-Quentin

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