REPRODUCTION DES ŒUVRES D'ART Copie et reproduction depuis la Renaissance
Dans sa Storia dell'iconografia anatomica publiée en 1957, Loris Premuda a reproduit en photogravure une planche des Icones anatomicae de Leopoldo Caldani (1801), dessinée et gravée par Gaetano Bosa ; elle figure en taille douce une vue d'un Apollon du Belvédère ; un, car la gravure exhibe une reconstitution graphique de ce marbre réputé qui n'est lui-même qu'une réplique romaine tardive d'un bronze grec qui fut peut-être coulé au ive siècle par Léocharès après qu'il en eut jeté l'idée dans le moule. Toutes ces interprétations composent le lignage d'une même forme plastique qui descend le cours des siècles, fixée par sa dénotation archéologique. Le lignage est dans ce cas particulièrement long, mais le processus qui assure les actualisations successives d'un même prototype n'a par lui-même rien de singulier : il n'est que de songer à la vogue de la chalcographie qui dut beaucoup à l'intérêt porté au xviie siècle à la gravure d'interprétation ; elle avait pour mission de multiplier des images d' œuvres uniques, fameuses par le prestige attaché à leur auteur et par les commentaires des connaisseurs ; mais ces images rendaient compte du thème et de la composition par des moyens spécifiques qui ne prétendent pas au fac-similé ; elles constituent un domaine artistique autonome et singulier. Il n'en va pas de même des techniques plus récentes qui aspirent à procurer une illusoire identification de l'original à la foule de ses doubles. Ce qui mérite une attention toute particulière, c'est, de nos jours, l'immense développement de la reproduction industrialisée : les procédés photomécaniques submergent incessamment la librairie et la presse d'images d'œuvres d'art ; mais on leur doit aussi quantité de diapositives ou de cartes coloriées acquises au musée après une station souvent plus longue que devant les cimaises ; procédés auxquels on peut ajouter les « films d'art » et les répliques « sur toile et en relief » de Renoir ou de Buffet pour la fierté des « ingénieurs-aimant-la-vente » et le contentement de ceux qui prisent l'art dans les limites d'une facilité dont le plus grand nombre indique la norme. Ce que l'on vise ici, c'est un mode de consommation culturelle fondé sur l'usage du simulacre ; c'est simultanément la formation d'un goût « moyen », instruit par les reproductions dont le choix assujetti à des prescriptions de « marketing » renforce généralement le caractère de fade médiocrité. Bien plus, l'apparition de procédés qui ont pour effet d'engendrer, sans effort particulier, l'illusion de présence d'œuvres lointaines est dans l'ordre pédagogique une espèce de « révolution copernicienne » ; si la fictive ubiquité que procure une documentation factice fait du consommateur culturel moyen un être aussi informé que superficiel, la multiplication standardisée de ce qui a une existence unique n'est pas sans conséquence sur la production et la fonction de l'art. L'invention de la photographie n'a pas peu contribué à bouleverser les valeurs attachées à la création artistique, moins en raison de sa prétention à la dignité d'art que du fait de son pouvoir de répétition. Cependant, la crise qu'introduisait cette technique ne fit que renouveler et parachever celle qui avait été provoquée jadis par l'invention de l' estampe ; à savoir un mode de répétition graphique dont le caractère radicalement novateur ne résidait pas dans l'invention technique, mais bien dans l'idée de mettre en œuvre, à des fins de répétition, des procédés qui eussent pu être appliqués de très longue date. L'intentionnalité technologique de répétition constitue l'essence même de la crise axiologique et elle aboutit à désacraliser l'art en multipliant le fac-similé de ses créations uniques.[...]
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Écrit par
- Jacques GUILLERME : chargé de recherche au C.N.R.S.
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