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REPRODUCTION DES ŒUVRES D'ART Copie et reproduction depuis la Renaissance

L'œuvre photographiée

Quel que soit l'écart entre un original et son image imprimée, on ne peut méconnaître l'inépuisable utilité documentaire des reproductions, particulièrement depuis l'apparition des procédés photomécaniques. André Malraux note justement que « l'histoire de l'art depuis cent ans [...] est l'histoire de ce qui est photographiable ». Omniprésente et protéiforme, l'image photographique est devenue l'instrument ordinaire de la comparaison des styles. Aux images fuyantes du souvenir elle oppose ses mensongères constances et son leurre immédiat au défaut d'expérience directe. Elle prend le relais de l'ancienne gravure d'interprétation qui était moins fidèle et moins neutre mais qui avait, en revanche, le mérite de communiquer, dans son économie propre de moyens, les résultats d'une analyse académique, puisque, comme l'a exprimé Landon, elle isole et restitue les propriétés du modèle en fonction des partis esthétiques contemporains. Dans la transcription photographique des valeurs locales d'une peinture, les éléments distinctifs de l'ancien jugement académique qui passaient différentiellement dans l'interprétation des graveurs se trouvent confondus dans des simulacres apparemment neutres. Cependant, la comparaison de plusieurs clichés d'un même objet dénonce évidemment l'illusion d'objectivité de la photographie. Focillon a pu à ce propos stigmatiser les écarts qui séparent les diverses répétitions de Mona Lisa, car, selon lui, les photographes doivent choisir ou bien d'« alourdir » les demi-teintes, ou bien de les supprimer ; ce qui « détermine suivant les cas deux séries de Joconde : les unes sont pleines, rondes, blanches, sans caractère ; les autres disparaissent sous une surcharge de valeurs pesantes et sans air ».

Les rapports des originaux avec leurs versions se trouvent autrement distendus dans maints produits de la photographie « scientifique ». Non seulement le découpage des champs, mais encore les divers grossissements de la surface d'une même œuvre que l'on peut différemment éclairer en lumière visible ou invisible sous des faisceaux diffus ou tangentiels procurent des aspects de l'original qui échappent à l'œil non armé, mais qui ne sont le plus souvent que d'insignifiants leurres pour qui n'a pas la théorie de la production de ces effets ; la photographie cède volontiers à la tentation d'un maniérisme aussi séducteur qu'arbitraire qui se résout en un « tachisme » insignifiant ; la connexion accidentelle des apparences appelle insidieusement les dévoiements de la raison analogique. L'esthète, en possession de produits de laboratoire, se croit l'élu d'une initiation qui lui dévoilerait quelque ésotérique dramaturgie des forces naturelles ; depuis plusieurs années, ces jeux sont en faveur, et notre œil, fait à de tels émerveillements, continue de les rechercher là où les calembours optiques des photographes ne sont que hasard. Faute de clefs intellectuelles, la photographie scientifique engendre d'inconsistantes rêveries qui procurent au spectateur l'illusion d'atteindre à quelque essence pure du réel ; c'est un ressort qu'a sollicité René Huyghe dans son ouvrage : Formes et Forces. De l'atome à Rembrandt, Paris, 1971. Devenue le champ clos de prouesses optiques, l'œuvre se multiplie et se perd en une infinité d'avatars ; on touche ainsi à la version la plus moderne de l'« interprétation » tout près de s'égarer dans la perversion esthétique.

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