REPRODUCTION DES ŒUVRES D'ART Copie et reproduction depuis la Renaissance
Le Musée imaginaire
Juxtaposées sur la feuille imprimée ou sur le film, les images artificieuses imposent à l'œil des rapprochements jamais vus, créent des enchaînements imprévus de formes et, par la combinaison sophistiquée de cadrages, dessinent d'arbitraires lignes de force. L'expérience qu'on peut en avoir n'est pas toujours plus « fausse » que celle qu'on tire de la vue de fragments archéologiques mutilés et exilés. Poussés à l'extrême, les jeux d'agrandissement abolissent radicalement toute échelle, et de ce fait, comme le dit Malraux, « la reproduction a créé des arts fictifs, en faussant systématiquement l'échelle des objets, en présentant les empreintes des sceaux orientaux comme des estampages de colonnes, des amulettes comme des statues ; l'inachevé de l'exécution dû aux petites dimensions de l'objet devient par agrandissement un style large d'expression moderne. L'orfèvrerie romane rejoint la sculpture, trouve enfin sa signification dans les séries de photos où châsses et statues prennent la même importance. » On aperçoit ainsi la faiblesse de cette conception du Musée imaginaire ; si elle proclame, par artifice, des parentés stylistiques, elle fait bon marché de la spécificité cultuelle et culturelle des objets et abolit toute conséquence de la relation vécue de la main de l'artiste avec la matière élaborée. Cette relation étant effacée dans la reproduction, l'œuvre est, à proprement parler, anéantie ; grandis démesurément ou tassés dans l'espace du livre, les simulacres se réduisent en fantasmagorie ; et l'on souscrira volontiers à cette condamnation que proféra Étienne Gilson : « Répandre dans le public l'illusion qu'il se rend possesseur d'une sorte de musée en achetant un livre, et qu'en feuilletant ce livre il a sous les yeux des œuvres plastiques assez réelles pour fonder une appréciation esthétique, c'est propager un prestige littéraire [...] Telle est la conséquence pratique la plus importante de la singularité et de l'individualité que le tableau tient de sa matérialité même : le seul mode d'accès réel à l'art plastique est la vue directe de l'œuvre d'art. » L'authenticité de l'original fonde son autorité ; en revanche, sa reproduction en atteste le prestige.
Produits d'une classe d'opérations par lesquelles un transfert analogique d'information fonde une ressemblance matérielle, les reproductions participent à la conservation et à la diversification des mémoires culturelles. Leur histoire est en définitive celle d'un ensemble technique de communication qui hésite à tout moment entre accueillir et refuser diverses redondances dont la faveur, toujours fugace, répond à la fois à des innovations technologiques et à des modes sociaux de perception. La réactivation d'une même information (l'original) dans divers messages (les reproductions) décrit les impérialismes successifs du goût et les aventures de la facticité du monde. Ce sont de précieux documents pour toute archéologie future.
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Écrit par
- Jacques GUILLERME : chargé de recherche au C.N.R.S.
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