REPRODUCTION DES ŒUVRES D'ART Les copies dans la sculpture antique
Essor de la copie au Ier siècle avant J.-C.
Tandis que la sculpture hellénistique s'étiole presque partout en un éclectisme d'ailleurs prolixe, apparaissent depuis la seconde moitié du iie siècle de véritables copies, qui ont pour but de reproduire une œuvre antérieure. Cette évolution, signe du déclin de l'art grec, est due avant tout à l'énorme demande de Rome, qui bouleverse les conditions de la production et du marché. La sculpture grecque s'était quelque peu laïcisée depuis le ive siècle, mais tout en restant publique : même privées, les commandes avaient presque toujours une destination officielle (statues honorifiques, etc.). Or voici que l'engouement de Rome, né des pillages de ses généraux, puis de ses magistrats (cf. les discours de Cicéron contre Verrès), amène un véritable dévoiement de la sculpture grecque ; arrachées à leur contexte primitif pour orner à Rome des édifices sans rapport avec elles, les statues grecques ont donné aux Romains le goût d'une sculpture décorative, qui prolifère bientôt dans les édifices et les jardins. Pour satisfaire cette fringale, il fallut bien produire – et massivement, si l'on considère jusqu'où alla cette passion de nouveaux riches : selon Pline (XXXIV, 36), Marcus Aemilius Scaurus fit décorer de trois mille statues le mur de scène de son théâtre temporaire, en 58 avant J.-C. Même un connaisseur comme Cicéron est tombé dans ce travers ; dans une lettre à son ami Fabius Gallus (Ep. ad fam. VII, 23), il lui reproche d'avoir acheté pour lui des statues d'un prix exorbitant : « Enfin, c'était quelque chose qui aurait pu à la rigueur convenir à ma bibliothèque et qui est en rapport avec mes goûts, mais des Bacchantes ! où veux-tu que je les mette chez moi ? [...] En fait, ce que j'achète d'habitude, ce sont des statues qui puissent décorer un coin de ma palestre à la manière d'un gymnase... » (c'est-à-dire des statues d'intellectuels et non d'athlètes, le gymnase étant aussi un lieu de conférences et de cours à l'époque hellénistique). La valeur artistique des œuvres est ici nettement subordonnée à leur usage décoratif.
Les plus riches pouvaient donc se procurer des copies grandeur nature, mais les autres devaient se contenter plus modestement de reproductions à échelle réduite : c'est l'origine de cette petite sculpture d'appartement dont les maisons de Délos ont fourni d'abondants et parfois décourageants exemples. Ainsi, au ier siècle avant J.-C., la plus grande partie des ateliers de sculpture grecs ont commencé à produire pour l'exportation, d'une manière parfois quasi industrielle. Dans une époque très troublée et difficile pour l'Orient grec, ce « boom » était trop inespéré et lucratif pour que les sculpteurs grecs aient pu résister à la tentation, cela d'autant plus que la création même était en crise. L'impact de cette commercialisation de l'art fut différent d'un centre à l'autre ; Athènes s'y abandonna entièrement, semble-t-il, exploitant sans vergogne les ressources intactes de son passé, tandis que Rhodes persévéra longtemps dans un baroque souvent grandiloquent. En tout cas, un grand nombre de sculpteurs grecs, suivant le marché, gagnèrent Rome, contribuant ainsi à l'affaiblissement des centres créateurs traditionnels. L'un des mieux connus et des plus importants est Pasitélès, contemporain de Pompée : originaire d'une cité grecque d'Italie du Sud, il joua à Rome un grand rôle dans la propagation de la sculpture grecque, non seulement par l'audience de son atelier, où l'on copiait et paraphrasait avec virtuosité les œuvres grecques célèbres – audience prolongée par son disciple Stéphanos et le disciple de celui-ci, Ménélaos –, mais aussi par ses écrits ([...]
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Écrit par
- Bernard HOLTZMANN : ancien membre de l'École française d'Athènes, professeur émérite d'archéologie grecque à l'université de Paris-X-Nanterre
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