REPRODUCTION SOCIALE
Les scolarités comme base légitime de la répartition sociale
Avec leur théorie de la reproduction, Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron systématisent ce rôle de l'institution scolaire dans les sociétés méritocratiques, en l'intégrant dans une théorie générale de la violence symbolique. L'école joue un rôle clé de reproduction symbolique en sélectionnant des significations (une culture, des critères de jugement...) et en les imposant à toute une classe d'âge, en « dissimulant les rapports de force qui sont au fondement de sa force ». En d'autres termes, l'école promeut un « idéal de la personne cultivée » (pour reprendre la formulation de Max Weber), à l'aune duquel on estimera légitime de classer les élèves. Et comme cet idéal est celui du groupe dominant, l'école va classer en tête ceux d'entre eux qui correspondent le mieux aux critères particuliers du groupe dominant. Cette sélection scolaire est ainsi davantage une cooptation qu'une juste compétition puisque les « héritiers », c'est-à-dire les enfants du groupe dominant, vont en sortir vainqueurs. Dotés des titres scolaires les plus prestigieux, ils pourront ensuite accéder aux meilleures places en toute légitimité, dès lors que l'« idéologie du don » prévaut. S'il semble évident que ce sont les plus « doués » qui l'emportent, et, s'il s'avère que les plus doués sont systématiquement les « héritiers », les inégalités sociales s'en trouvent à la fois reproduites et légitimées.
La reproduction via les inégalités scolaires est-elle alors une fonction sociale indépassable dans une société de classes ? Répondre par l'affirmative expose à une « dérive finaliste », comme le pointe Berthelot, où l'école est fondamentalement faite pour cette fin, quels que soient le contexte historique et son mode de fonctionnement. On peut pourtant imaginer que l'école participe à la reproduction de la société, au sens où elle prépare les nouvelles générations à occuper les places de la division du travail, sans pour autant privilégier systématiquement la reproduction des privilèges des héritiers : tout comme un autobus peut être rempli pareillement en début et en fin de ligne tout en ayant renouvelé entièrement ses passagers, l'école pourrait fonctionner de manière parfaitement juste tout en ventilant les élèves initialement inégaux dans les places inégales qui les attendent. Tout dépend de la manière dont l'école fonctionne concrètement.
On ne saurait donc s'en tenir à une approche macrosociologique de l'institution scolaire. Car derrière ces inégalités sociales qui s'y trouvent produites, il y a, comme derrière toute régularité sociale, des acteurs (les parents, les enseignants, les élèves) qui mettent en œuvre des stratégies ; la sociologie de l'éducation a alors pour tâche de décrire ces stratégies, de comprendre leur émergence dans les contextes où elles se produisent, d'analyser les phénomènes d'agrégation, pas toujours prévus ou voulus, susceptibles d'en découler (ce que Raymond Boudon désigne sous le vocable d'effets pervers). La sociologie de l'éducation française a ainsi beaucoup progressé dans cette voie, depuis les thèses initiales de la reproduction.
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Écrit par
- Marie DURU-BELLAT : professeur des Universités, université de Bourgogne
Classification
Média
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