RÉPUBLIQUE DES LETTRES
Communication et lieux communs : la formation d'un public
S'il y a république des lettres, c'est que le savoir circule. Cette circulation est rendue possible par des voyages, des correspondances, des journaux. Des voyages, car les érudits de l'époque moderne ne cessent de se déplacer pour étudier, découvrir et discuter, d'une université, d'un cercle, ou d'un cabinet de curiosité à l'autre. Des correspondances ensuite, notamment pendant la Renaissance, lorsque l'imprimé est encore rare et coûteux : ces échanges érudits sont le moyen de diffuser les connaissances, et pour longtemps ; les correspondances d'un Mersenne ou d'un Peiresc sont encore tout à fait comparables à celle d'un Érasme. Enfin, la république des lettres se dote au cours du xviie siècle d'organes propres, des périodiques, comme le Journal des savants ou les Nouvelles de la république des lettres de Bayle (1685-1687), que prolongent à l'époque des Lumières la Correspondance littéraire de Friedrich Melchior Grimm, puis des revues, notamment à l'époque romantique. Ces « publications collectives et périodiques » (Alain Viala, La Naissance de l'écrivain) contribuent à former un public stable et de plus en plus identifié comme tel : les amateurs remplacent progressivement les spécialistes et les doctes. C'est que, après avoir été essentiellement un espace de production de savoir, la république des lettres devient un espace de réception, un lieu où s'invente précisément un public promu instance de légitimation, qui d'esthétique devient progressivement politique tout au long des xviie et xviiie siècles (Hélène Merlin).
La république des lettres peut alors fonctionner comme un idéal, qui promeut des valeurs progressivement établies à compter de l'humanisme. Cosmopolitisme, pacifisme et œcuménisme en sont les maîtres mots ; surtout, la fiction d'égalité qui l'habite contribue à l'informer, et à la rendre perméable à une politique ayant pour fin le bien commun et pour moyen un certain équilibre entre les pouvoirs. Cette communauté intellectuelle se caractérise ainsi par une persistance des valeurs humanistes. C'est en partie ce qui explique sa prétention universaliste, ainsi que le choix qu'elle fait de politiques réformatrices.
Malgré cette prétention universelle, l'idée d'une république des lettres est essentiellement européenne. Outre son développement et sa prégnance dans l'Europe occidentale, elle aura également affirmé sa présence en Europe centrale ; d'une part positivement, parce que la Mitteleuropa, de Vienne à Prague, a longtemps entretenu des liens étroits avec l'Italie, s'ouvrant ainsi à des influences baroques tardives ; d'autre part négativement, pour faire contrepoids à la menace d'invasion ottomane.
Paris joue de ce point de vue un rôle particulier : lieu de formation particulièrement fort de cette république, la ville représente un lieu international de légitimation. L'utopie d'ailleurs n'est pas morte : la fondation d'un Parlement international des écrivains en 1993 témoigne encore de la force de cet idéal.
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Écrit par
- Alain BRUNN : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de lettres modernes, université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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